Les Inrockuptibles

Une enfance fracassée

Avec le chef Michael Schønwandt, la reprise de Wozzeck d’Alban Berg, à l’Opéra Bastille, brille d’une incandesce­nce musicale et d’une douceur magnifiées par la mise en scène d’exception de Christoph Marthaler.

-

Wozzeck est un pauvre diable à l’esprit en bataille. Victime d’une bouffée délirante, le barbier à la dérive tue Marie, sa maîtresse, avant d’en finir avec la vie. Alban Berg signe la partition et le livret de cet opéra (1925) où il s’empare du récit d’un fait divers dont Georg Büchner fit une pièce en 1837. Avec la reprise de cette création signée en 2008, Christoph Marthaler fait bien plus que monter le drame d’un meurtrier poussé au désespoir qui “court par le monde comme une lame de rasoir”. Nous rappelant que Wozzeck et Marie ont un fils, il opte pour le point de vue d’une enfance brisée par la folie des adultes. S’abstenant de faire vibrer la corde sensible, sa mise en scène se joue dans un précipité d’émotions, avec la plus touchante des retenues.

C’est au réel que l’artiste suissealle­mand et la scénograph­e Anna Viebrock se réfèrent, quand ils reproduise­nt sur scène un jardin d’enfants dans une friche industriel­le d’un quartier populaire de Gand. Un paradis pour les petits autour duquel se dresse le barnum translucid­e d’une guinguette où se trament les intrigues délétères de la vie des adultes.

Sous la direction de Michael Schønwandt, dans un bras de fer avec les chanteurs, la partition de Berg se fait tranchante pour dire la fracture des âmes et une déraison qui brise à jamais la sphère du quotidien. Qu’il s’agisse de Wozzeck (Johannes Martin Kränzle), tendre et perdu, ou de la sensuelle Marie (Gun-Brit Barkmin), tous sont formidable­s. Jusqu’à ce choeur d’enfants qui, au final, prend possession de la buvette désertée par les aînés, pour nous regarder droit dans les yeux. Les images de ce Wozzeck d’anthologie se cristallis­ent avec tant de douceur dans nos mémoires, qu’on sait qu’elles vont durablemen­t nous hanter. P. S.

Wozzeck d’Alban Berg, direction musicale Michael Schønwandt, mise en scène Christoph Marthaler, cometteur en scène Joachim Rathke, en allemand surtitré en français et en anglais jusqu’au 15 mai à l’Opéra Bastille, Paris XIIe

Newspapers in French

Newspapers from France