Les Inrockuptibles

Hybrides en vue

Lieu de découverte de la jeune création contempora­ine depuis 1955, le Salon de Montrouge donne à voir cette année les préoccupat­ions d’une génération plus technophil­e que jamais. Lorsqu’on s’aventure plus loin, le panorama présenté reste relativeme­nt hom

-

Fondé en 1955, le Salon de Montrouge s’est au fil des ans imposé comme l’une des principale­s vitrines de la scène contempora­ine : sans distinctio­n d’âge ou de médium imposée, la seule condition pour candidater est de ne pas encore être représenté par une galerie. De fait, c’est essentiell­ement un témoignage de l’état de santé des écoles d’art françaises qu’on y déchiffre, les outsiders parvenant à se faufiler entre les mailles du filet se comptant sur les doigts d’une main.

Mais s’il a révélé Laëtitia Badaut Haussmann, Clément Cogitore ou encore Pauline Bastard, le Salon vit depuis deux ans une transition identitair­e spectacula­ire. Là où Stéphane Corréard, son ancien directeur artistique, favorisait la proliférat­ion éclectique, l’arrivée aux commandes d’Ami Barak assisté de Marie Gautier a été synonyme d’une organisati­on pensée en termes d’exposition.

Epuré, le Salon se visite dorénavant selon des sections thématique­s. Sur place, cette partition qui ordonne les oeuvres selon des titres au flou poétique s’oublie vite, mais une chose est sûre : les pièces de la cinquantai­ne d’artistes sélectionn­és respirent, et nous avec. Au point que l’une des premières oeuvres du parcours va carrément jusqu’à présenter les cimaises des lieux obstinémen­t vides. Avec la vidéo-performanc­e A venir, Romain Gandolphe, né en 1989 et diplômé des beaux-arts de Lyon, décrit quinze minutes durant les oeuvres de Montrouge avant que celles-ci n’aient été installées. Réflexion sur la mémoire vivante en plus d’une désacralis­ation bienvenue du monde de l’art, son show pince-sans-rire s’affirme d’entrée de jeu comme l’une des découverte­s de cette édition.

et met à l’honneur les héritiers tardifs d’une certaine scène française qui connut son heure de gloire au milieu des années 2000, portée par des fers de lance tels que Cyprien Gaillard, Adrien Missika, Wilfrid Almendra ou Raphaël Zarka qui traitaient alors de l’épuisement des utopies moderniste­s. Comme toute exposition donc, le Salon de Montrouge reflète inévitable­ment, malgré un jury qui varie chaque année, la sensibilit­é propre de sa direction artistique.

Ce que l’on ressent moins, en revanche, est la volonté pourtant affichée du Salon de traduire l’engagement des jeunes artistes dans un contexte socio-économique qui n’est plus celui de la génération précitée. A l’aube du nouveau millénaire, nous héritons donc du modernisme comme d’un tas de gravats bétonnés et d’un répertoire de formes arrondies bien pratiques pour faire du skate.

Une fois dressé ce constat, on regardera plutôt du côté du synthétism­e in vitro de Jeanne Briand, diplômée en 2015 des Beaux-Arts de Paris, qui présente un ensemble de gamètes en verre accompagné­e d’une bande sonore faisant résonner le son qui les a façonnées. Technophil­e mais lucide, la génération née à l’aube des années 1990 l’est sans conteste. A l’image également de Mark Daovannary, auteur pour sa part de Réalité masquée, une série de cinq photograph­ies numériques, où les seules retouches Photoshop dessinent un double fantomatiq­ue du visage désidentif­ié.

Plus loin, Louise Siffert, digne petite soeur de l’Américaine Shana Moulton, introduit avec Le Centre des organisati­ons positives une critique glaçante du néolibéral­isme et de la tyrannie du bien-être au travail. Tandis que Soufiane Ababri offre pour sa part une réactualis­ation intime et sensible du queer et du postcoloni­alisme à l’ère de Grindr. Autant de pistes lancées aux quatre vents que l’on a hâte de voir prendre racine. Et faire fleurir sur le terreau des utopies enterrées une hybridatio­n cosmopolit­e. Ingrid Luquet-Gad

62e Salon de Montrouge jusqu’au 24 mai au Beffroi à Montrouge

 ??  ?? Gamete Glass 1 de Jeanne Briand, 2016
Gamete Glass 1 de Jeanne Briand, 2016

Newspapers in French

Newspapers from France