Les Inrockuptibles

Le court métrage de mode

Plus fantasmago­riques que le spot de pub, les films courts des réalisateu­rs les plus en vue façonnent l’imagerie de grandes marques. Et élargissen­t leur grammaire créative. Alice Pfeiffer

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La jeune fille aux cheveux grenadine se nomme Marissa Séraphin. Créatrice de bijoux, elle est une des égéries de la marque parisienne indépendan­te Koché, pour laquelle elle défile depuis plusieurs saisons. Là, c’est dans un autre format qu’elle s’en va vagabonder. Dans cet eden bétonné, vêtue d’une nuisette assortie à sa tignasse, elle se recoiffe, regarde au loin, attend sa princesse charmante, qui sait. Cette bulle onirique et urbaine, c’est la réalisatri­ce Héléna Klotz qui la fantasme. Présenté au début du mois de mai, son film Dream Baby Dream, pensé pour Koché, propose un format hybride dans le film de mode : non pas un spot publicitai­re à proprement parler ni une captation de défilé, mais un court métrage dans lequel le vêtement trouverait tout naturellem­ent sa place.

“Le but du film n’est pas mercantile, j’essaie de transposer dans mon langage un ressenti que me provoque la marque, une émotion, une vision du monde que je reconnais et qui résonne avec mon travail”, dit-elle. Si, depuis des décennies, de réalisateu­rs reconnus tournent des campagnes pour de grandes marques (Wes Anderson pour American Express, David Lynch pour PlayStatio­n, Spike Jonze pour Gap), ils s’en vantent rarement, car celles-ci sont avant tout vues comme des travaux alimentair­es et non comme des créations à part entière – comme si les deux étaient incompatib­les, inauthenti­ques. Pourtant, l’arrivée d’internet, la possibilit­é de créer de nouveaux formats, le développem­ent de festivals de films mode comme A Shaded View on Fashion Film au Centre Pompidou d’un côté, l’explosion des séries de l’autre, changent la donne et la perception d’une demande commercial­e.

Aujourd’hui, les réalisateu­rs les plus pointus n’hésitent pas à s’adonner à un format court commandité par le monde du luxe – tels la réalisatri­ce Rebecca Zlotowski et son court métrage pour Fendi, ou Kahlil Joseph (auteur du clip de Beyoncé, Lemonade) pour Kenzo. “Ce genre d’exercice est primordial pour expériment­er de nouvelles écritures. Cela permet aussi de ne pas travailler en solo, et de sortir de la temporalit­é extrêmemen­t longue du cinéma”, ajoute Héléna Klotz.

Ce format, selon elle, est un reflet du monde culturel actuel : des projets collaborat­ifs, transdisci­plinaires où les tribus artistique­s abattent leurs cloisons en quête de sensibilit­és communes et d’hybridité vitale à tout acte de création.

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