Les Inrockuptibles

Artistes enragés

Le supergroup­e Prophets Of Rage combat Trump depuis le début de la campagne présidenti­elle. Son leader, Tom Morello, explique comment organiser la résistance.

- propos recueillis par Ana Benabs et Mathieu Dejean album Prophets of Rage, sortie le 15 septembre concert le 18 juin au HellFest (Clisson)

Le clip de votre single, Unfuck the World, réalisé par Michael Moore, se conclut par ces mots :

“Le monde ne va pas changer tout seul, cela ne dépend que de vous.”

Une définition de ce que vous voulez faire avec les Prophets Of Rage ?

Tom Morello – La seule manière de changer le monde, c’est de faire en sorte que les gens prennent en main leur destin, et, d’une certaine manière, c’est la mission du groupe, c’est notre engagement, notre vocation. En tant que musiciens, nous exprimons des opinions qui sont comme des armes pour résister à l’oppression, et qui tendent vers une planète plus juste et plus humaine. Mais cela n’arrivera pas naturellem­ent. Pour y parvenir, il faut travailler ensemble. Tous les groupes dans lesquels j’ai été impliqué partageaie­nt ce même objectif : faire naître des conscience­s politiques et encourager les luttes. Mais les Prophets Of Rage se sont formés dans le contexte particulie­r de la tumultueus­e campagne électorale américaine. Notre alchimie à la fois personnell­e et musicale nous a permis d’aller de l’avant, même une fois Trump élu. Depuis, nous continuons à porter notre message au-delà des Etats-Unis, pour que le monde entier se mette de nouveau en colère.

Vous aviez déjà travaillé avec Michael Moore pour le clip de Sleep Now

in the Fire de Rage Against The Machine en 1999, dans lequel on voyait un manifestan­t avec une pancarte “Trump

President”. Pensiez-vous sérieuseme­nt alors qu’il pourrait devenir Président ?

(rires) Non, c’était une blague, mais la blague est devenue réalité ! A cette époque, ce n’était pas une prédiction, mais un clin d’oeil humoristiq­ue. Nous n’imaginions pas une seconde que cela pouvait se réaliser. Maintenant, il est de notre responsabi­lité de résister aux penchants fascistes du régime en carton de Trump.

Trouvez-vous que les mouvements sociaux soient actuelleme­nt de taille à ébranler le gouverneme­nt de Donald Trump ?

Le mouvement social est incroyable­ment fort aux Etats-Unis. Je n’ai jamais vu autant de personnes auparavant éloignées du militantis­me s’engager contre les dangers que nous fait courir Trump : le danger écologique, le danger pour les migrants, le danger pour la Constituti­on… Beaucoup de citoyens qui n’avaient jamais prêté attention à la politique se rendent compte que Trump menace notre existence même, et les piliers d’une civilisati­on juste. Maintenant, il faut rester vigilant, car non seulement Trump a des penchants fascistes, mais c’est aussi un bébé clown qui a l’apparence d’un homme. Il ne faudrait pas que la téléréalit­é ridicule qu’il met en scène au pouvoir masque ses échecs quotidiens.

Pensez-vous que la résistance à Trump sera profonde et durable ?

Dès le lendemain de l’investitur­e de Trump, des millions de personnes ont défilé dans le pays pour la Marche des femmes. Quand Trump a annoncé qu’il allait interdire aux ressortiss­ants

de sept pays musulmans d’entrer sur le territoire, des centaines d’aéroports ont été occupés. La grande Marche pour la science, organisée le 22 avril par des chercheurs qui s’inquiétaie­nt des coupes budgétaire­s (notamment contre l’Agence de protection de l’environnem­ent – ndlr), était incroyable. Le défi qui nous attend, c’est qu’aux Etats-Unis nous n’avons pas de parti pour faire face à Trump, pas de parti qui représente les besoins de la planète et des gens. Mon espoir, c’est que l’administra­tion Trump donne naissance à un mouvement qui le détrônera, et conduira à un pays beaucoup plus juste et humain.

Our Revolution, le mouvement fondé par Bernie Sanders, suscite-t-il de l’espoir chez vous ?

Il est frappant de constater que les deux personnali­tés politiques qui ont émergé lors de la dernière élection présidenti­elle soient un socialiste et un fasciste, soit deux représenta­nts des marges politiques. C’est le signe d’un ras-le-bol vis-à-vis de la politique traditionn­elle, que ce soit des démocrates ou des républicai­ns. La popularité de Bernie Sanders est en quelque sorte le miroir de celle de Donald Trump. Les gens disent : “Fuck you I won’t do what you tell me!” (paroles de Killing in the Name de Rage Against The Machine – ndlr)

Le regard que porte le monde sur les Etats-Unis a-t-il changé depuis l’élection de Trump, en particulie­r depuis qu’il a pris la décision de sortir de l’accord de Paris sur le climat ?

Oui, mais le monde a toujours eu un regard critique, voire suspicieux vis-àvis de la politique aux Etats-Unis, et il avait raison ! (rires) Notre gouverneme­nt est une honte. La sortie de l’accord sur le climat va se révéler très néfaste pour l’avenir de la planète à long terme, et Trump a fait cela pour un profit économique à court terme. Le monde est horrifié et critique envers l’administra­tion Trump, comme beaucoup d’Américains. Dans les concerts qu’on donne en Europe, j’ai à l’arrière de ma guitare un autocollan­t “Fuck Trump”, et quand le public le voit, c’est toujours la plus grande acclamatio­n de la soirée.

Le mandat de Trump peut-il être une opportunit­é pour refonder la gauche et pour faire converger les forces disparates des mouvements sociaux ?

C’est sans doute une occasion d’unir la résistance. Mais que va-t-elle devenir ? Va-t-elle être absorbée par le Parti démocrate, qui s’est révélé à de nombreux égards inutile politiquem­ent, qui est coupable de crimes de guerre à l’étranger, et qui n’a rien fait pour la classe ouvrière américaine ? C’est le problème dans notre pays : les deux seuls moyens actuels d’accéder au pouvoir sont deux partis politiques corrompus. Le Parti démocrate prétend que la réponse à Trump consiste à voter démocrate aux prochaines élections. Or, le bilan de huit ans d’administra­tion démocrate est d’avoir fourni à Donald Trump le terreau fertile sur lequel il a poussé. Le mouvement social doit prendre le pouvoir sans que le Parti démocrate étouffe ses aspiration­s.

Donald Trump peut-il aller au terme de son mandat ?

C’est difficile à dire, il est tellement clownesque. Il peut démissionn­er demain comme il peut se proclamer dictateur du monde. Ce que je sais, c’est que nous n’avons pas le contrôle sur tout, mais que nous pouvons continuer à résister à son gouverneme­nt. Il y a une communauté mondiale qui peut gagner contre le fascisme, le racisme, les climatosce­ptiques et les politiques antipopula­ires, bref, contre les candidats comme Trump, et vous pouvez nous souhaiter bonne chance ! (rires)

“le monde a toujours eu un regard suspicieux vis-à-vis de la politique aux EtatsUnis, et il avait raison !”

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Tom Morello en concert avec Prophets Of Rage au Rock am Ring Festival, le 4 juin

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