Les Inrockuptibles

Creepy de Kiyoshi Kurosawa

Un couple confronté à un étrange voisin. L’art de l’inquiétude propre au cinéaste déployé à son plus haut niveau d’intensité.

-

Quel rôle jouent un territoire et un casting étrangers dans l’alchimie de la vision d’un auteur ? On peut légitimeme­nt se poser la question à propos de Kiyoshi Kurosawa, quand on constate que l’échec du Secret de la chambre noire (tourné en France) est survenu au milieu d’une série de réussites éclatantes, de la minisérie Shokuzai au film d’aliens Avant que nous disparaiss­ions (présenté à Cannes), en passant par ce Creepy qui sort aujourd’hui et fut réalisé avant son “film français”. Kurosawa est redevenu aussi prolifique et constant dans l’excellence que Hong Sangsoo, mais dans le registre très différent du cinéma de genre, Creepy s’inscrivant dans sa veine la plus féconde, celle du serial-killer.

Takakura et Yasuko emménagent dans un nouveau quartier. Lui est prof de criminolog­ie et conseiller sur une affaire de mystérieus­e disparitio­n. Elle est femme au foyer, passionnée de cuisine et de bon voisinage (on se croirait dans Frenzy d’Hitchcock). Et justement, leur plus proche voisin, Nishino, a une maison peu avenante et un comporteme­nt étrange qui n’obéit pas du tout aux normes de courtoisie en vigueur. Il faut dire que ce personnage est interprété par Teruyuki Kagawa, cet acteur au visage inquiétant, mélange de beauté

et de laideur, d’expression­isme et d’opacité, qui sévissait déjà dans Tokyo Sonata ou Shokuzai. Une fois de plus, Kurosawa déploie un talent

incomparab­le pour plonger le spectateur dans une tension anxiogène, à partir d’un minimum d’effets. Une disparitio­n, un voisin qui ne cadre pas avec la norme sociale, suffisent à semer le doute et à empoisonne­r le tissu a priori banal du quotidien. Comme Tourneur ou Lynch, Kurosawa est capable de filmer une façade de maison, un jardin, une porte, en suscitant trouille et suspense, en suggérant que sous la surface quotidienn­e et rassurante des choses se produisent des horreurs innommable­s. Et de fait… C’est là que se repose notre question liminaire : pourquoi Le Secret de la chambre noire ne faisait-il pas peur, alors qu’il avait recours au même genre d’ingrédient­s (maison hantée, comporteme­nts étranges, etc.) ? Parce que le film mettait en scène des lieux et des acteurs trop familiers à nos yeux de Français ? Parce que Kurosawa avait perdu une part de son savoir en tournant dans un pays qui n’était pas le sien et dans une langue qu’il ne maîtrisait pas ?

Difficile de cerner exactement l’endroit où un cinéaste échoue ou parvient à susciter l’effroi, mais avec le bien nommé Creepy, la réussite est totale. Le personnage joué par Kagawa est un salaud pervers de forte magnitude. La plus grande inquiétude distillée par ce film, c’est de nous dire que le mal est toujours plus proche de soi qu’on ne le croit. Serge Kaganski

Creepy de Kiyoshi Kurosawa, avec Hidetoshi Nishijima, Yuko Takeuchi, Teruyuki Kagawa (Jap., 2016, 2 h 10)

Kurosawa est capable de filmer une façade de maison, un jardin, en suscitant trouille et suspense

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France