Les Inrockuptibles

Un noctambule pétillant

Dans un premier roman pop, Lisa Vignoli raconte l’histoire du journalist­e et mondain Jean-Michel Gravier, mort du sida en 1994. Admirateur d’Isabelle Adjani, découvreur de Jean-Jacques Beineix, il a hanté les nuits parisienne­s.

- Pierre Siankowski

Pourquoi s’enchaîner à la fiction lorsque les histoires sont là, devant nous, et qu’il ne reste plus qu’à les écrire pour en faire de la littératur­e ? C’est sans doute ce que s’est dit Lisa Vignoli lorsqu’elle décida, pour son premier roman, de s’enfouir dans la trajectoir­e de Jean-Michel Gravier, journalist­e et mondain dispersé, figure méconnue des années 1980, opposé et ennemi juré d’un Pacadis qui emporta le morceau sur la durée, si l’on peut dire.

Gravier écrivait (au Matin de Paris) un peu sur tout, mais surtout sur le cinéma, enfin c’est ce qu’il préférait. Il gravitait autour de Barbara, d’Adjani, de Beineix, à moins que ce ne fût l’inverse : n’est-ce pas eux, qui, au final, gravitaien­t autour de Gravier ? Voilà le présupposé central de ce livre passionnan­t. Un livre pour lequel Lisa Vignoli, entre enquête et récit très personnel, a choisi de s’inclure a posteriori, trente ans plus tard, dans le tourbillon Gravier. Quelle idée ? Quelle bonne idée !

On file à Cannes, on monte les marches (souvent en descente), on en revient vainqueur ou vaincu, on se retrouve aux Bains ou au Palace, on croise Daho ou Vincent Lindon, et l’on se demande si tout cela était bien réel. Il y a les connus, on l’a dit, et ceux qui le sont moins aussi : Dominique Besnehard, Caroline Loeb, Pierre Grillet, et cette fameuse Carole Blunat, personnage intrépide que Gravier transféra de son adolescenc­e grenoblois­e jusque dans les bras d’Helmut Berger, dit-on. Cet interstice incertain, Lisa Vignoli le fait visiter avec une précision chirurgica­le, comme pour mieux se convaincre de son existence.

Elle donne vie aux légendes, et surtout à celle de Gravier, pour retrouver le fil de ces années 1980 qui ne cessent de fasciner par leur liberté et leur inconstanc­e. Car c’est cela aussi qui ressort de ce roman de Lisa Vignoli : cette décennie montée sur vérins qui livre, sans penser au lendemain, son histoire au quotidien (Gravier comme Pacadis) dans un semi-brouillard, jusqu’à ce que la patrouille, sida oblige, finisse par la rattraper.

Gravier fut de ceux qui montraient la voie, sans être totalement convaincu que ce fût la bonne. Gravier essayait, tentait, il faisait des paris comme celui fou lancé sur le vilain Diva de Beineix, qu’il porta jusqu’aux César avec la plus grande conviction. Il fit d’Adjani sa star, et le retour de hype éternel dont celle-ci semble bénéficier est sans aucun doute sa plus grande victoire. Cette énergie (du désespoir) est le coeur de l’histoire oubliée mais ô combien passionnan­te de Jean-Michel Gravier, et de cet éloge posthume et complexe traversé par une certaine pop culture que Lisa Vignoli inclut avec beaucoup de réussite dans sa narration. Tout cela pour que l’histoire, celle de Gravier donc, ne nous file plus entre les doigts.

Parlez-moi encore de lui (Stock), 240 p., 19,50 €

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