Des parents trop discrets
Richard Ford repart sur les routes de son enfance, à la recherche de son père et de sa mère. Ce qui se jouait leur amour et sa raison d’être.
Pourquoi “entre eux”, écrire de nouveau sur ses parents, quand on leur a déjà consacré un livre ? Telle est la question que pose d’emblée Entre eux de Richard Ford. L’auteur avait dédié un récit à sa mère, il y a trente ans. Ce nouveau livre, “ces doubles mémoires” comme il le présente, en est la suite et en quelque sorte le remix : l’écrivain ajoute une autre partie sur son père. “Au loin, je me souviens de mon père”, s’intitule cette première partie. “Quelque part, au fond de (son) enfance”, il revoit cet homme discret, vendeur, représentant et placier, qui rentre de tournée pour retrouver sa femme et son fils, chaque week-end. “Son large visage charnu et malléable, adonné au sourire.”
Entre eux est un livre émouvant et beau. Classique par son style, une écriture simple, directe, presque blanche, mais audacieux dans sa démarche : écrire sur ces parents qu’il n’a pas assez connus, ou du moins assez mal compris. Ecrire sur ce qui les lie, ce qui se joue “entre eux” comme l’indique le titre.
A plus de 70 ans, âge canonique où nombre d’écrivains sont tentés par l’autobiographie, lui décide de se pencher sur ses parents. Non pour chercher une hérédité, des gènes qui pourraient expliquer sa propre personnalité. “Je me garderai bien d’attribuer mes lacunes à un trait du caractère de mon père, écrit-il dans l’une de ces réflexions qui jaillissent du récit comme des traits de génie. La vie de nos parents nous échappe en partie, pas de leur fait mais du nôtre, et dans ces conditions, s’apercevoir qu’on ne sait pas tout est affaire de respect, car les enfants rétrécissent le cadre de référence de tout ce à quoi ils appartiennent.” Il s’agit plutôt, dans une approche semblable au W ou le souvenir d’enfance de Perec, de saisir également quelque chose de l’enfance en général, cette terra incognita pour un homme qui n’a, lui, jamais été père. C’est enfin un magnifique récit de souvenirs, moments inoubliables d’une vie sur les routes de l’Amérique, bonheur simple d’une famille heureuse malgré les inévitables parts d’ombre et de mystère. Ainsi se dégage, comme le hors-champ d’un film où tout se jouerait, cette route qu’arpentent inlassablement les Ford. Non pas celle de la beat generation faite d’excès et de débauche, mais une route presque anodine, discrète et néanmoins pleine de charme. L’American way of life dans toute sa splendide évidence.
Entre eux (Editions de l’Olivier) traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, 192 p., 19,50 €