Les Inrockuptibles

Thomas Azier

Installé à Paris, le nomade et dandy hollandais Thomas Azier confirme tout le bien qu’on pensait de sa pop européenne avec Rouge. Où cet infatigabl­e chercheur de sons tente de combiner ses passions pour Léo Ferré et Kanye West.

- par Pierre Siankowski photo Charlotte Ortholary pour Les Inrockupti­bles

installé à Paris, le nomade et dandy hollandais confirme tout le bien qu’on pensait de sa pop européenne avec Rouge. Portrait

Le garçon est assis au comptoir d’un restaurant italien du XIe arrondisse­ment de Paris, smart et les cheveux très en ordre, comme à son habitude. “Bonjour, comment ça va ?”, lance-t-il avec un accent quasi parfait. Thomas Azier, presque 30 ans, vit à Paris depuis plusieurs mois désormais. Hollandais de naissance, passé par Berlin où il avait enregistré son premier album, il s’adapte à la France à la vitesse de la lumière. Il nous demande ce qu’on peut bien penser de Macron, commande un verre de vin (rouge comme le titre de son nouvel album, on y reviendra) et nous raconte sa nouvelle passion pour la chanson qui se chante en français – Pascal Sevran en aurait été tout ému. “En arrivant ici, je me suis fait une liste de tous ceux que je devais découvrir : Gainsbourg bien sûr, Ferré et Jacques Brel que j’admire par-dessus tout. Je sais qu’il est belge mais vous l’aimez beaucoup ici, non ?”, plaisante-t-il, avant de reprendre : “Je comprends qu’un type comme Scott Walker soit tombé complèteme­nt amoureux de sa musique, il a une telle énergie.”

Thomas Azier est un passionné, un éclectique. Il y a deux ans, dans l’immense usine berlinoise où il avait installé son studio et enregistré son premier album (l’excellent Hylas), on se souvient l’avoir entendu nous exprimer sa passion pour Kanye West et nous raconter comment il s’était formé au gabber chez lui

“je construis ma musique au fur et à mesure, je laisse mes voyages, les endroits où je vis et mes expérience­s l’influencer totalement” Thomas Azier

en Hollande, avant de goûter à la techno allemande la plus pointue. “Je construis ma musique au fur et à mesure, je laisse mes voyages, les endroits où je vis et mes expérience­s l’influencer totalement. Je pense avoir mes goûts mais je n’ai aucune certitude. Il y a trois ans, si on m’avait dit que j’écouterais Léo Ferré et que je trouverais ça sublime, je ne l’aurais pas cru”, explique-t-il avec beaucoup d’humilité. Pour son deuxième album, Rouge donc, sorti ces derniers jours, Azier n’a pas encore fait le choix de chanter en français (tout est en anglais). Mais il a laissé un romantisme très parisien en pénétrer les interstice­s. “De toute façon, je suis un romantique. A sa manière, mon premier album était un disque romantique, mais davantage à l’allemande.”

Thomas Azier est un type marrant. Il s’amuse de notre situation politique et revient plus en profondeur sur ce fameux esprit français. “Ce que j’aime ici, c’est qu’on accorde la plus haute importance à la dimension artistique. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. Vous avez une chance incroyable et vous ne vous en rendez parfois pas vraiment compte. Je parlais souvent de ça avec Dan Levy, de The Dø, avec qui j’ai enregistré ce disque. Avant de savoir si un album va marcher ou non, un musicien français se demandera toujours si artistique­ment le projet est fidèle à ses attentes. Ce n’est pas le cas dans toute l’Europe, je peux te le dire.”

En 2016, c’est en effet aux côtés de Dan Levy que nous avions croisé le même Azier, réfugié avec ses nouvelles chansons dans l’immense maison-studio de l’artificier de The Dø, en Normandie, au sud d’Evreux. Ensemble, les deux garçons travaillai­ent d’arrachepie­d sur le meilleur disque possible, loin du monde. “Tous les deux, nous sommes des passionnés, des jusqu’au-boutistes. Le travail a été très intense, mais je suis ravi du résultat. J’avais besoin de quelqu’un qui pose un oeil sur mon travail, et il a su le faire parfaiteme­nt. Il a su apprivoise­r ma musique. Il m’a donné les conseils que j’avais toujours cherchés. J’ai parfois tendance à viser la performanc­e, à en rajouter. Dans ces cas-là, il me posait la main sur l’épaule et me disait qu’on pouvait faire plus simple, trouver un chemin plus direct”, raconte Thomas Azier, reconnaiss­ant.

L’écoute de Rouge ne dit pas autre chose. Là où le Hollandais volant partait à la guerre sur presque chacune de ses chansons, on le retrouve apaisé et prêt à en découdre autrement, avec d’autres ficelles. Dès l’ouverture du disque, Concubine, puis avec Gold ou Sandglass, c’est un homme posé derrière son piano que l’on découvre, chantant mieux que jamais, offrant un souffle nouveau à sa musique. Bien sûr, il y a encore ces montées, ces envolées dont il a l’envie et le secret ( Talk to Me, Berlin), mais le Azier nouveau a encore franchi un palier en mettant légèrement le pied sur le frein. Là où Hylas, son premier essai ultraconqu­érant, en mettait plein la vue, Rouge brille par son inventivit­é, son calme, ses mélodies, sa douceur aussi.

“Je suis très content d’être parvenu à m’exprimer autrement sur ce disque. Je me souviens qu’à l’époque de mon premier album, j’avais envie de dire au monde entier que j’existais. Comme si j’avais quelque chose à prouver, comme si je devais jouer des coudes plus qu’un autre. Tout cela m’épuisait et j’ai fini par détester Berlin pour ces raisons. C’est la ville où j’ai dû m’imposer, par tous les moyens. Aujourd’hui, à Paris, je suis beaucoup plus serein. Je n’ai pas le sentiment que les artistes soient dans cet état d’esprit”, dit Azier. Il poursuit. “Quand j’ai commencé à travailler sur ce disque, au studio Ferber à Paris, avant de l’emmener chez Dan en Normandie, j’ai croisé Gonzales. Dans ma tête, ce type était un véritable compétiteu­r, j’avais peur de sa réaction vis-à-vis de moi, du petit Hollandais qui, comme lui, avait fait son trou à Berlin. Il a été d’une extrême bienveilla­nce avec moi, on a beaucoup discuté. Je sais que c’est possible ici, et je me sens bien à Paris pour ces raisons.”

Sur scène aussi, Azier semble avoir monté une marche. On l’avait découvert dès 2012, seul lors des premières parties de Woodkid, avec une boîte à rythmes et un micro, prêt à toutes les cascades. En ce début d’année, on l’a retrouvé tout autrement, chic et en place, au milieu de ses musiciens, dépliant sa voix incroyable avec une grâce restaurée. “Je prends énormément de plaisir à chanter les titres de ce nouvel album sur scène. Je ne me sens plus obligé de me remuer dans tous les sens, j’essaie simplement de trouver le ton juste, de trouver le bon chemin. Et je vois que le public semble y prendre du plaisir. C’est agréable de voir que l’on peut être aimé sans en faire des tonnes. Peut-être que c’est cela qu’on apprend avec l’âge”, lance-t-il avec un oeil interrogat­eur.

Le Thomas Azier qui avançait au pas de charge dans la foulée de Stromae (il avait collaboré au dernier album de celui-ci, Racine carrée), de Woodkid ou encore de The Shoes semble donc rangé des concours de bagnoles. “Pour une fois, j’arrive à profiter des chansons que j’ai écrites. J’apprends à prendre le temps, à profiter des choses, c’est ma grande satisfacti­on.” Plaisir partagé à l’écoute de Rouge, qui depuis plusieurs jours a investi nos platines en donnant la certitude qu’une pop élégante et européenne semble avoir trouvé son architecte. Il est hollandais, il vit à Paris après un passage par Berlin et il s’appelle Thomas Azier. Il est assis au comptoir d’un restaurant italien.

album Rouge (Mercury/Universal) concert le 8 juillet aux Eurockéenn­es de Belfort

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