Les Inrockuptibles

David Hockney

Le plus populaire des peintres contempora­ins fait l’objet d’une grande rétrospect­ive au Centre Pompidou cet été. Portrait d’un artiste aux mutliples visages.

- par Jean-Marie Durand

le plus populaire des peintres contempora­ins fait l’objet d’une grande rétrospect­ive au Centre Pompidou cet été. Story

Il suffirait d’évoquer l’image d’une piscine sous un ciel bleu azur, à la surface de laquelle vibre une éclaboussu­re, celle d’un plongeur disparu, pour que le nom de David Hockney s’impose aux yeux de tous. Toile iconique de l’art du XXe siècle, A Bigger Splash (1967) a, quasiment à elle seule, imposé le peintre au sommet de la notoriété parmi les artistes vivants. Cinquante ans plus tard, les giclées inondent toujours les esprits des spectateur­s happés par le mystère Hockney. Un mystère qui se déploie sur quelques territoire­s fétiches : la Californie, son pays d’adoption, où il découvre dès 1964 la lumière éclatante et la libération de la sexualité gay ; le Yorkshire, lié à ses souvenirs d’enfance ; le Grand Canyon, mythe du paysage américain, défi des peintres.

Le succès public de la récente rétrospect­ive à la Tate Britain de Londres a confirmé la réputation du peintre, qui excède largement les cercles spécialisé­s. Comme le souligne Didier Ottinger, commissair­e de l’exposition élargie et encore plus dense que le Centre Pompidou accueille à partir du 21 juin, “le phénomène du ‘dernier grand peintre vivant’ n’est pas étranger à cet engouement. Les Anglais sont attachés à la célébratio­n de leurs peintres – pour nous, un signe supplément­aire d’excentrici­té… Francis Bacon a été celui-là. Bacon décédé, le titre est passé à Lucian Freud. Freud disparu, David Hockney est aujourd’hui, pour l’Angleterre, le grand peintre vivant.”

L’idolâtrie dont il est l’objet en Angleterre vient de loin. Tout en s’inscrivant dans la vieille tradition britanniqu­e de l’art du paysage et du portrait, qui le rend familier aux yeux de son peuple, il est surtout le produit des swinging sixties, durant lesquelles il émerge dans le champ du pop art, alors dominé par Richard Hamilton. A l’époque, la peinture figurative fait pâle figure. Les néo-avant-gardes, marquées par l’héritage de Duchamp, remettent fortement en cause la pratique même de la peinture. “Hockney a conscience qu’une des raisons du discrédit théorique de la peinture, dans les années 1960, est liée à la généralisa­tion des idées de Walter Benjamin appliquées à la reproducti­bilité des oeuvres d’art”, observe Ottinger.

Discrédité­e, la peinture abandonne sa superbe au profit de la photograph­ie et du cinéma, nouveaux médias de référence. “La peinture se voit historique­ment condamnée au nom de son incapacité à s’adapter au régime technique des images modernes.” Or, Hockney répond à ce discrédit. Son génie consiste à composer avec la peinture du champ coloré (color-field painting), l’art abstrait et l’art minimalist­e. “Du côté de la technique, il développe une curiosité insatiable pour toutes les

technologi­es modernes de production et de reproducti­on des images. Côté peinture “avancée”, on le voit jouer de façon subtile, malicieuse, avec les référents formels qui constituen­t le mainstream de l’époque. Ses Paper Pools détournent figurative­ment la peinture abstraite du champ coloré, ses peintures de piscines citent les idiomes de la peinture abstraite de l’époque, des formes de L’Hourloupe de Jean Dubuffet aux ‘spaghettis’ de Bernard Cohen. Aujourd’hui encore, ses tableaux les plus récents renvoient aux peintures à bandes de Frank Stella des années 1950”, explique Didier Ottinger. Entremêlan­t des fils esthétique­s multiples, l’irréductib­le Hockney ne peut ainsi être rattaché à quelques courants exclusifs, pas même le pop art – tout en s’y biberonnan­t, il déborde largement son cadre formel. Alors qu’Andy Warhol, qui lui inspira sa chevelure peroxydée, tenait à la neutralité d’exécution, Hockney défend un art médiatisé par l’oeil et la main de l’artiste.

Marqué en 1960 par la rétrospect­ive que la Tate consacre à Picasso, Hockney découvre que le plus grand génie de la peinture n’a pas de style, ou plutôt qu’il en compte mille… Puisant chez Picasso l’idée qu’un artiste peut être à la fois surréalist­e et néoclassiq­ue, réaliste et abstrait, il place déjà sa première exposition “sous l’égide de la versatilit­é stylistiqu­e”, rappelle Ottinger, en donnant le titre générique de Demonstrat­ion of Versatilit­y aux quatre tableaux qu’il présente dans l’exposition Young Contempora­ries, en 1962. “La force de David Hockney est de pouvoir se réinventer, explique le commissair­e d’exposition. Il applique authentiqu­ement, presque naïvement, ce que l’avant-garde a toujours proclamé, mais peu appliqué dans le cadre d’une oeuvre individuel­le : l’aventure, l’expériment­ation, le risque permanent. Hockney se met régulièrem­ent en déséquilib­re.” Cette rétrospect­ive le démontre : “Exposer David Hockney, c’est exposer dix artistes différents. Des piscines aux paysages du Yorkshire, du photoréali­sme des années 1960 aux abstractio­ns de la décennie suivante, a-t-on vraiment affaire au même artiste ? Cette diversité est la raison pour laquelle il est difficile d’identifier un moment précis, dans une oeuvre marquée par des accompliss­ements successifs, chacun à son tour aussi stimulant qu’inattendu.”

De l’intimité ouatée de ses cercles affectifs à la grandeur des espaces naturels, Hockney n’a jamais cessé de chercher des nouvelles solutions visuelles pour représente­r la réalité et réinventer des espaces picturaux affranchis de la perspectiv­e monofocale héritée de la Renaissanc­e. Cette troisième exposition que le Centre Pompidou lui consacre (après l’oeuvre photograph­ique et ses Polaroid au début des années 1980 et celle de 1999, autour des paysages) entérine ainsi le règne sans partage d’un artiste populaire. Le sacre d’un créateur émerveillé par le monde, abrité dans un simple paysage de villa californie­nne, d’une forêt anglaise, du corps d’un amant placide. “Il faut revenir à Matisse, au cinéma de Jean Renoir pour trouver la joie, l’optimisme qu’exprime l’art de David Hockney”, estime Didier Ottinger. Il reste au public chanceux de Beaubourg de faire usage de cette joie et de cet optimisme.

rétrospect­ive David Hockney du 21 juin au 23 octobre au Centre Pompidou, Paris IVe et aussi parution d’un (très) beau livre, David Hockney. A Bigger Book (Taschen), 498 pages, 2 000 € (avec 13 pages dépliantes, un lutrin de Marc Newson et un volume de 680 pages contenant une chronologi­e illustrée)

 ??  ?? Le Parc des sources, Vichy, 1970
Le Parc des sources, Vichy, 1970
 ??  ?? 9 Canvas Study of the Grand Canyon, 1998
9 Canvas Study of the Grand Canyon, 1998
 ??  ?? LIRE AUSSI notre hors-série Les Univers de David Hockney, en kiosque, 8,50 €
LIRE AUSSI notre hors-série Les Univers de David Hockney, en kiosque, 8,50 €

Newspapers in French

Newspapers from France