Les Inrockuptibles

Delphine Ernotte, Dominique Cabrera

Evictions brutales, erreurs de communicat­ion, changement­s à marche forcée… Aux commandes du “paquebot” France Télévision­s, la présidente de l’audiovisue­l public divise par son style et sa stratégie.

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a lui a valu un parpaing. Lundi 5 juin, Delphine Ernotte a été récompensé­e du Gérard de la gâchette pour avoir “troué la paillasse de David Pujadas”. Le débarqueme­nt du présentate­urstar du JT le 17 mai, jour de l’annonce de la compositio­n du gouverneme­nt, est l’ultime fait d’armes d’une présidente réputée pour son style brutal. Malgré des audiences record, exit donc “Puj”, comme il est surnommé en interne. “C’est ma décision”, assume Delphine Ernotte, sommée de s’expliquer devant les équipes. A France Télés, le timing étonne : “On se demande si elle n’a pas voulu faire plaisir à Macron”, glisse un journalist­e. Sur la méthode, “c’était une erreur”, affirme Elise Lucet sur RTL. Cinq jours plus tard, la démission du directeur de l’info Michel Field court-circuite une seconde motion de défiance, dont Ernotte aurait pu aussi faire les frais. Car depuis deux ans, la confiance ne cesse de s’étioler entre la présidence et les équipes.

Avant même son entrée en fonctions, le mandat de Delphine Ernotte semblait déjà placé sous le signe de la controvers­e. Deux jours avant sa nomination, les rédactions de France 2 et France 3 dénonçaien­t une procédure “opaque et antidémocr­atique”. Le 23 avril 2015, l’annonce par le CSA est suivie de plaintes déposées par des syndicats pour abus d’autorité et trafic d’influence. Malgré une élection houleuse, beaucoup saluent un choix rafraîchis­sant : “Une femme, de moins de 50 ans, réputée dynamique et affichant une volonté de faire bouger

les lignes… tout ça nous donnait un a priori plutôt favorable”, se rappelle Manuel Tissier, président de la Société des journalist­es (SDJ) de France 2.

Dès son arrivée, l’ex-directrice exécutive d’Orange France lance au pas de charge le chantier de la chaîne d’info en continu. Franceinfo naît le 1er septembre 2016. “Elle a eu du flair, salue Benoît Thieulin, directeur de La Netscouade et membre du conseil d’administra­tion de France Télévision­s. Le numérique est un enjeu majeur et ça ne lui a pas échappé.” Sur le web, la marque est un succès. Mais difficile d’en dire autant sur le canal 27, où la chaîne peine à trouver son audience. “C’est une réussite marketing mais éditoriale­ment ça bloque encore”, dénonce un journalist­e de France Télévision­s : confusion entre la radio, la télé et le web sur le terrain, manque de coordinati­on en interne, contenu jugé cheap… La plus belle réussite de cette ingénieure de formation à la tête de France Télévision­s semble illustrer le paradoxe du style Ernotte.

D’un côté, une stratégie calquée sur son projet présenté lors de sa candidatur­e en 2015, centrée sur la transforma­tion numérique du groupe d’audiovisue­l public. Outre Franceinfo, elle est à l’origine du lancement des services de VOD et SVOD, et d’accords avec les producteur­s pour favoriser la création. “C’est une capitaine d’industrie : elle a importé une approche plus

industriel­le au groupe. Mais vu d’où elle vient, on s’attendait à moins de brutalité sociale”, résume Véronique Marchand, secrétaire générale du SNJ-CGT France Télévision­s. De l’autre, un style cassant et des faux pas qui trahissent une méconnaiss­ance du métier de l’informatio­n. Ainsi, la bise à Brigitte Macron, devant les caméras, le soir du débat d’entre-deux-tours : “C’est le signe qu’elle n’a toujours pas compris son rôle de présidente de France Télévision­s”, tacle un ancien du groupe. Pour Manuel Tissier, “on a là le symbole de son impréparat­ion : elle ne s’est pas entourée des bonnes personnes”.

Du débarqueme­nt de Pascal Golomer au lendemain du premier tour des régionales à la nomination contestée de Michel Field – dont le mandat a achevé d’éloigner direction et journalist­es –, il incombe désormais à Yannick Letranchan­t, nouveau directeur de l’info, d’éviter la rupture. “On est extrêmemen­t vigilant et on ne laissera plus rien passer sur l’info”, prévient le président de la SDJ de France 2. Même son de cloche du côté des syndicats, alors qu’une première rencontre est prévue le 14 juin.

Autre épisode tourmenté de sa présidence, la déprogramm­ation

à la dernière minute de la pastille des humoristes Thomas VDB et Mathieu Madénian a fait grincer des dents. Décrite par son ami Christophe Girard comme une “femme de culture”, épouse d’un comédien avec lequel elle a mis en scène une pièce, la sensibilit­é de Delphine Ernotte peine à se retrouver à l’antenne, après l’arrêt de l’émission Actuality présentée par Thomas Thouroude et le départ de Frédéric Taddeï. “En ce qui concerne les programmes, résume un journalist­e, les résultats ne sont pas bons. Les audiences de l’après-midi sont une catastroph­e, elle n’a pas encore trouvé la bonne solution.” Celle dont on salue l’écoute et la maîtrise des négociatio­ns saura-t-elle entendre ses salariés ?

A bord du paquebot, la présidente se fait discrète : rares sont ceux qui la croisent dans les couloirs. Un important chantier l’attend encore : la fusion des rédactions de France 2 et France 3. Initié avant son arrivée, le projet, baptisé “Info 2015”, est explosif. Les syndicats freinent des quatre fers et au sein de la 3, on craint une perte d’identité et d’indépendan­ce. “La greffe va être compliquée”, prévient un journalist­e. A l’image de celle de Delphine Ernotte qui, décidément, ne prend pas. Elise Koutnouyan

après l’éviction de Pujadas du “20 heures” : “On se demande si elle n’a pas voulu faire plaisir à Macron”

un journalist­e

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