Les Inrockuptibles

Brett Bailey, Mourad Merzouki

Scandalisé par l’indigence des politiques européenne­s quant à la crise des réfugiés, Brett Bailey crée avec Sanctuary une installati­on pour rendre hommage aux morts et s’attacher à la consolatio­n des vivants.

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C’est à Athènes, au Stone Warehouse, un entrepôt désaffecté du port du Pirée, que nous avons découvert la dernière création de l’artiste sud-africain Brett Bailey. Aléas des errances de la politique d’accueil de l’Union européenne, l’immense parking, qui entoure la friche industriel­le, s’était transformé, il y a un an, en un camp de fortune réunissant des milliers de réfugiés. Aujourd’hui, s’approcher du lieu du spectacle s’apparente à la traversée d’un no man’s land. Depuis la fermeture de la route des Balkans et l’accord passé entre l’Europe et la Turquie, on ne voit désormais plus âme qui vive dans cette partie des docks.

S’inspirant du mythe du Minotaure, créature enfermée dans un labyrinthe sur l’île de Crète, Brett Bailey nous rappelle la légende qui voulait qu’on lui apporte en offrande, tous les neuf ans, sept jeunes femmes et sept jeunes hommes pour apaiser sa fureur. Ce monstre, qui s’avère être le petit-fils de la princesse Europe, les dévorait alors sans autre forme de procès. Usant de cette métaphore pour honorer la mémoire des morts et dénoncer l’absence d’humanité envers des vivants qui tentent de gagner une terre de paix, Brett Bailey a conçu Sanctuary sur le parcours d’un labyrinthe découpé en huit stations.

Pour éviter qu’ils ne s’envolent au gré du vent, les rideaux noirs qui encadrent l’entrée du bâtiment sont lestés de lourdes chaînes d’acier. Leurs maillons raclent sans arrêt le sol. La sinistre musique qu’ils produisent nous accompagne, alors qu’on pénètre dans l’enceinte. L’installati­on se découvre par petits groupes et nécessite l’acceptatio­n de règles strictes qui constituen­t son mode d’emploi : demeurer silencieux et attendre qu’une “green light” s’allume pour passer à l’étape suivante.

Progressan­t dans un couloir cadré par de hautes parois grillagées surmontées de rouleaux de fil de fer barbelé, nous sommes cinq à parcourir la pénombre des méandres à angle droit du dédale.

Les pauses accordées nous confronten­t à une série de tableaux vivants. Des performeur­s solitaires témoignent. Aux visions d’une Europe de carte postale succèdent la solitude d’un père rassurant son enfant, le cérémonial de deuil d’un frère, la détresse d’une femme obligée de se prostituer pour rembourser les passeurs. Le ton de la confidence est une invite au partage, chaque récit une douleur qui s’épanche. Un fil rouge – pareil à celui mythique d’Ariane – trace sa route indépendam­ment de la nôtre, comme une promesse d’espoir. Entre le carcéral et le compassion­nel, entre les lumières des miradors et celles des centaines de bougies d’un mémorial, Sanctuary a la volonté de tenir à distance la violence pour s’ériger en havre de vérités au milieu de la tourmente. Patrick Sourd

Sanctuary concept et direction artistique Brett Bailey, du 16 au 21 juin, Festival de Marseille, Friche la Belle de Mai

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