Les Inrockuptibles

billet dur

- Par Christophe Conte

On est au courant : à 600 000 voix près, tu étais au second tour de la présidenti­elle. Note que moi, à une voix près j’étais Maria Callas et j’en fais pas un reblochon, Mélenchon. A 600 000 suppôts sanguinair­es de l’oligarchie près, admettons cette hypothèse burlesque, tu aurais carrément “plié” n’importe quel adversaire, fanfaronne­s-tu à qui veut y croire, au lieu de quoi tu as malheureus­ement été contraint de plier bagages.

Mais demeurons un instant dans la science-fiction révolution­naire : si tu étais parvenu à franchir le seuil de l’Elysée autrement qu’aux journées portes ouvertes, tu aurais de surcroît bénéficié à l’Assemblée nationale d’une majorité écrasante de dix-sept députés. On comprend d’autant mieux cette déception cruelle, insupporta­ble, qui au fil des semaines a tourné en mauvaise bile. Au candidat nettement audessus du lot qui élevait moins la voix que les débats au premier tour, tu as substitué le Mélenchon des sales jours, celui qui peste contre la terre entière (à l’exception des modèles démocratiq­ues cubains et vénézuélie­ns), celui qui conteste et qui proteste, et qui retourne quand même sa veste par rapport à 2002 lorsqu’il s’agit d’appeler clairement et sans pudeur de gazelle à voter contre les fachos. Pourtant, tu as presque rempli les objectifs de toute une vie : assécher le PS comme la vieille rose d’une Saint-Valentin à jamais consumée, prendre faute de concurrenc­e le leadership de l’opposition de gauche et te faire enfin élire député. Tu as même pu constituer au passage un fan club plus virulent que ceux d’Indochine et de Mylène Farmer réunis, prêt à te défendre jusqu’à la mort (enfin, surtout jusqu’au ridicule), te plaçant désormais à la tête d’une armée de fanzouzes bolivarien­s qui te feront croire en ton miroir que tu es l’homme le plus aimé et puissant de ce pays.

Ainsi, aux législativ­es, tu t’es livré à des équations largement diffusées par cette propagande bénévole, donnant à penser que les abstention­nistes, par leur silence, s’étaient en réalité exprimés en ta faveur, mais sans se déplacer jusqu’à l’école primaire. En “matheux” moins scrupuleus­ement attaché à la vérité des chiffres que Cédric Villani, tu prétends donc aujourd’hui porter la voix du peuple, de tout le peuple, y compris celui qui t’a tourné le cul en s’abstenant ou en votant pour quelqu’un d’autre. “Le peuple français n’a donné aucune chance à l’ancien monde. Il nous a désignés pour porter le fanal du combat”, annonçais-tu solennelle­ment dans ton appel du 18 juin.

Quelques jours plus tard, devant l’Assemblée où vous aviez rendez-vous comme des puceaux mettant pour la première fois les pieds dans un lupanar, tes copains insoumis et toi-même vous présentiez, poings levés, comme “la résistance”. On voit que t’es élu de Marseille, bouducon, et bien que parachuté, tu en as vite adopté les coutumes lorsqu’il s’agit de gonfler la réalité.

Face au drapeau européen, que tu découvrais dans l’hémicycle, tu lanças d’un air dégoûté : “On est obligé de supporter ça ?” C’est marrant, je me dis la même chose en te voyant débloquer depuis plusieurs semaines.

A 600 000 envies près, je t’aurais embrassé.

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