Les Inrockuptibles

Visages villages d’Agnès Varda et JR

Un voyage au plus près de la France, des rencontres, des photos, des sourires, des visages et des villages. Un film poétique et gracieux.

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Il y a une grâce, un miracle Agnès Varda. A l’approche de chacun de ses nouveaux films, une crainte nous taraude : serait-ce le film de trop ? En 2000, après Les Glaneurs et la Glaneuse, on se demandait : que pourra-t-elle faire de mieux ensuite ? Et puis il y a eu la belle expo à la Fondation Cartier avec la géniale installati­on sur les épouses de marins. Et puis encore le superbe Les Plages d’Agnès, film-signature, largement autobiogra­phique, avec un petit parfum testamenta­ire. Après ça, que pourrait-elle faire encore ?

Eh bien c’est tout simple (du moins ça en a l’air), Visages villages ! Avec sa collection de balais chiffrant désormais 89 unités, l’indestruct­ible Varda repart pour un tour de cinéma et gagne, prouvant à chaque fois qu’elle ne fait décidément jamais de film de trop. Elle s’est alliée cette fois avec le photograph­e plasticien JR, avec qui elle forme un superbe couple burlesque (allo, Laurel et Hardy ?) sillonnant la France avec leur appareilla­ge ciné-photo à la rencontre de ses habitants (on pense d’ailleurs au studio itinérant de Raymond Depardon dans Les Habitants). Un film de campagne quoi, plutôt poétique que politique, quoique Visages villages évoque de loin la longue séquence électorale que l’on vient de vivre, mais version buissonniè­re, artistique, profondéme­nt empathique et dénuée d’enjeux de pêche aux voix.

JR photograph­ie les gens (comme dit l’élément de langage méluchien), puis affiche leurs portraits agrandis aux frontons de leur maison ou de leur lieu de travail. Cela donne parfois des hasards esthétique­s gracieux, comme ce portrait du photograph­e Guy Bourdin jeune signé Varda agrandi par JR, et dont la position du corps épouse les formes d’un blockhaus comme s’il était lové dans un berceau. Villageois du Sud, dockers du Havre, ouvriers, paysans, postiers ont ainsi les honneurs de la transfigur­ation ludique et artistique, ce qui change des promesses électorale­s qui n’engagent que ceux qui y croient.

L’art artisanal de Varda, c’est toujours la rencontre enchantée avec des lieux, des personnes. S’y ajoute ici le dialogue-transmissi­on avec JR. Entre le jeune et la druidesse, le grand mince et la petite ronde, la paire de lunettes et la tonsure blanc-mauve, ça carbure à l’humour, à la taquinerie, à la créativité stimulante, à l’instinct du geste artistique désacralis­é. Puis Hardy propose à Laurel d’aller voir un vieux copain, Buster Keaton (on veut dire Jean-Luc Godard). Varda, Godard, les derniers survivants de la Nouvelle Vague, elle rive gauche, lui rive droite. Retrouvail­les sur la rive du Léman, plage d’Agnès et de Jean-Luc avec JR comme grand témoin ? Roll on Rolle. Un fantôme hante le lac et passe dans le film comme un frisson chargé d’histoire(s). Avec JR, Varda réussit une fois de plus à nous surprendre, nous enchanter, nous émouvoir, avec juste une caméra, un oeil toujours aiguisé malgré la maladie, et plein d’idées. Un miracle, une grâce. Serge Kaganski

Visages villages d’Agnès Varda et JR (Fr., 2017, 1 h 29)

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