Les Inrockuptibles

Violence gratuite

Dans un premier roman détonant, Clarisse Gorokhoff croque la fuite en avant d’une midinette criminelle et fait le pari (réussi) de lier terrorisme et frivolité. Fallait oser.

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Le printemps littéraire fut explosif. Après Ann Scott qui dynamitait la cérémonie des oscars et ses 3 000 invités VIP dans son très californie­n Cortex (Stock), c’est la jeune Clarisse Gorokhoff qui met le feu aux poudres dans un audacieux premier roman au titre éloquent : De la bombe.

Très loin du Dolby Theatre et d’Hollywood Boulevard, ici ce sont les rives du Bosphore, à Istanbul, qui vont vibrer sous la déflagrati­on d’un petit engin artisanal conçu par deux jeunes femmes, dans un studio d’étudiant, au son d’un iPad en wifi.

La cible : l’hôtel Four Seasons Bosphorus, “un temple de mépris qui bouffe l’espace et défèque dans la mer”. Un palace oriental multi-étoilé qui “se croit à l’abri des pauvres, des faibles et des mauvaises intentions, mais (…) grouille d’âmes errantes”.

Ophélie, la narratrice terroriste, est l’une d’entre elles. Française exilée, amazone noctambule en roue libre, elle vit aux crochets d’un playboy tyrannique qui lui paie son train de vie doré contre convocatio­ns licencieus­es dans la suite 432 du palace. Est-elle amoureuse ? Peut-être. Hypnotisée ? Plus sûrement.

C’est dans la chambre avec vue qu’elle flashe aussi sur Derya, une employée qui cache sous son uniforme de soubrette une guerrière kurde enflammée. C’est elle qui lui apprendra à manier les explosifs.

Comme à chaque fois qu’un drame sature nos JT de corps démembrés et de bâtiments effondrés, l’attentat que met en scène ici l’auteure soulève évidemment la question du “pourquoi ?” : pourquoi elle ? Pourquoi là ? Pourquoi maintenant ?

La grande force de ce premier roman, c’est justement de ne pas essayer d’accoler un tissu de justificat­ions raisonnabl­es à la folie meurtrière isolée. Ophélie boit, Ophélie jouit, Ophélie tue, Ophélie fuit. Point.

Sans complexe, Clarisse Gorokhoff joue des genres et ose mixer chick-litt et new romance, catastroph­e et road-movie. Il n’est pas question ici d’exalter un quelconque malaise génération­nel, encore moins de faire résonner des idéaux politiques. Tout le texte semble porté par une violence gratuite, une sensualité provocante, un burlesque effronté. Il a quelque chose de génialemen­t superficie­l à traiter de l’horreur avec autant de frivolité, et peut-être aussi – donc – de terribleme­nt subversif. Léonard Billot

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De la bombe (Gallimard), 272 p., 17 €

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