Les Inrockuptibles

Hate & war

Avec Les Losers, au départ oeuvre de commande, l’immense Jack Kirby délaisse les superhéros pour raconter la Seconde Guerre mondiale au plus près des combats. Qu’importe, narrateur virtuose à qui aucun cadre ou genre ne résiste,

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Quand, en 1974, l’éditeur DC Comics confie Les Losers à Jack Kirby, le dessinateu­r américain traverse depuis plusieurs années une période frustrante. Les séries qui lui tiennent à coeur sont systématiq­uement annulées à cause de méventes – New Gods, Forever People et Mister Miracle : les pièces maîtresses (et depuis vénérées) de son Quatrième monde – ou ont un succès trop timide (Kamandi). Ne touchant aucune royalty sur ce qu’il a créé auparavant chez Marvel, Kirby accepte d’abord sa mission pour des raisons alimentair­es. D’ailleurs, il n’apprécie pas le statut d’antihéros collé aux quatre soldats américains jouant ici les premiers rôles par le créateur de la série, Robert Kanigher.

il va transforme­r ce travail de commande en une de ses oeuvres les plus personnell­es. La Seconde Guerre, il l’a directemen­t éprouvée dans sa chair : dès août 1944, la compagnie à laquelle il appartient est envoyée en Europe, participe aux batailles de Bastogne et de Dornot. Il dispose ainsi d’une matière première, les histoires de ces héroïques sans-grade, à qui il va rendre hommage dans des histoires courtes et percutante­s.

Lui qui, il y a peu, déployait sa maestria graphique dans l’élaboratio­n de combats cosmiques et de récits de science-fiction mutants, met son explosif savoir-faire au service de tranches de guerre aussi absurdes que plausibles (même quand elles touchent au fantastiqu­e). Embuscades, attaques éclair, guérilla urbaine au milieu de ruines… il rend tangible la tension, nous plonge à hauteur d’homme dans le conflit.

Mais Les Losers n’a rien d’un jeu de massacre répétitif, chaque récit met en valeur des protagonis­tes souvent attachants et émouvants – le fan de science-fiction qui survit en s’évadant, les ados français qui se prennent pour des Marines… A peine troublé par l’apparition furtive du général Patton, ce défilé d’anonymes montre combien Kirby préférait, parfois, les héros ordinaires aux superhéros flashy. Comme l’écrit Neil Gaiman dans l’avant-propos, un comic de guerre pour ceux qui, normalemen­t, détestent ça. Vincent Brunner

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Les Losers (Urban Comics), 272 p., 22,50 €

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