Le caoutchouc fashion
Réinvestie par quelques créateurs, cette matière dénuée d’attente sociale ou genrée écrit son propre récit stylisé.
Ci-contre, cet objet aux allures sportives n’est ni le fruit de la main habile d’un sculpteur de marbre, ni une maquette en plâtre, mais une paire de chaussures du label français Both. Lancé il y a un peu moins d’un an, celui-ci se fait connaître pour ses créations en caoutchouc fondu, moulé et apposé à des matériaux plus classiques comme le canevas ou le nubuck pour un effet trompe l’oeil à la croisée des genres. Avec des airs de Margiela du début revu pour les rues de 2017, cette marque est adoubée par Dazed ou les sites prescripteurs Highsnobiety et Hypebeast. Et elle soulève, par ailleurs, la question de l’affect et des attentes que porte chaque individu à une matière.
Le studio à l’origine de Both se spécialise dans la matière depuis trente ans avant de se dédier au projet. Le caoutchouc, omniprésent, versatile et souvent invisible, est indispensable à pléthore de fabrications et avancées technologiques, autant pour des revêtements de raquettes de tennis que de câbles informatiques ou des pneus. Son arrivée dans la mode remonte au XIXe siècle, quand la maison Mackintosh développe des manteaux aux revêtements totalement imperméables (la naissance de “l’imperméable”) ; naissent aussi des bottes en caoutchouc ou des semelles de chaussures de sport. Plus tard, son allure high-tech déclenche les fantasmes futuristes de Thierry Mugler puis d’Iris van Herpen, qui imaginent un chic façon cyborg.
Pourtant, Both propose une réelle différence. En proposant des objets du quotidien retravaillés dans un caoutchouc hybride, la matière culte devient non plus un moyen mais une fin aussi pratique qu’esthétique. Et étend ainsi le champ lexical du vêtement vers de nouveaux récits délestés des règles du passé. Si chaque textile répond à une codification aristocratique, genrée, saisonnière, l’arrivée de nouvelles matières sur le marché crée des vêtements ovni, dénués d’attentes. Par exemple, le streetwear et ses matières techniques est inclassifiable et donc, à ce jour, la seule garde-robe naturellement unisexe. Là, ces souliers ne répondent à aucune garde-robe, secteur professionnel, tribu, et se lancent, bras de caoutchouc déployés, vers de nouveaux horizons. Alice Pfeiffer