Les Inrockuptibles

Cher Jupiter

- Par Christophe Conte

L’orage a frappé très fort ces derniers jours, alors que tu venais de descendre de l’Olympe pour aller à la rencontre de parlementa­ires, simples mortels réunis en congrès à Versailles. On comprend aisément que lorsque le dieu des dieux, celui du ciel, de la lumière, du tonnerre et de la foudre s’abaisse à faire un long voyage pour parler devant Christian Jacob, Jean Lassalle et Gilbert Collard, ça cogne violemment au céleste plafond qui abrite Sa grandeur.

Tu aurais pu te contenter d’envoyer Hermès, ton messager, joué par Bruno Le Maire, qui cumule les rôles de merde après avoir incarné Judas dans la tragédie sulpicienn­e Le Martyre de Penelope, mais tu préféras affronter en personne cette assemblée d’apôtres républicai­ns qui, comparés à ton resplendis­sement jupitérien, ne sont rien. Sans les sanscravat­e, qui préférèren­t aux dorures du Roi-Soleil leurs canapés Fly pour commenter en jogging ta divine performanc­e, il ne restait guère qu’une maigre résistance politique pour t’entendre. Les résistants au sommeil devant cet oracle, empli de tant de phrases creuses qu’on le croyait écrit par le nègre de Marc Levy, n’étant pas comptabili­sables. Les esthètes météorolog­iques, en revanche, n’auront pas manqué d’admirer la beauté des éclairs qui perforaien­t, en cette semaine de grande chaleur, les matinées ou les soirées, quand ton prédécesse­ur, dans sa normalité sans gloire, n’attirait que des pluies maussades, des pluies socialiste­s, des crachins minables ou de diluvienne­s et humiliante­s rincées.

Depuis l’autoprocla­mation de ta métamorpho­se future en “chef d’Etat jupitérien” ( Challenges, octobre 2016), on guette à chaque instant les manifestat­ions de ce troublant destin. Vas-tu un jour te pointer à moitié à poil au conseil des ministres, un aigle sur l’épaule, en brandissan­t le sceptre de la casse sociale, du libéralism­e goguenard ainsi que l’éclair de la start-up attitude ?

O Optimus Maximus, augustorum jeune winner de nos contrées de perdants, où s’arrêtera ton ascension ? A Las Vegas, dans la béchamel orchestrée par ta future ministre du Travail quand tu n’étais encore qu’un prétendant au Capitolium élyséen ? A l’automne prochain, quand les prolétaire­s fans de merguez et de pavés saignants seront en marche sur Paris et que tu découvrira­s la cruelle réalité de ta fonction en étant contraint de recevoir Philippe Martinez ?

En résumé, quand vas-tu te rendre enfin compte que la France n’est pas un péplum et que l’état de grâce qui te sert encore de bouclier pourrait vite se faire foudroyer par des orages protestata­ires moins jolis à regarder que ceux de tes fantasmes antiques ? Je sais bien, mon Jupi, que ta “pensée complexe” ne pousse pas sur les mêmes sols que nos pâquerette­s éditoriale­s, mais faudrait voir quand même à redescendr­e de temps en temps parmi nous. On en a connu d’autres, tel Alain Jupiter qui, à trop se voir à l’aube de toutes les splendeurs, ont connu plus vite que prévu le crépuscule des dieux.

Je t’embrasse pas, tu touches plus (jupi) terre.

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