Le gorpcore
Ce n’est pas le hipster qui rejoint la nature mais la nature qui vient au hipster avec cette mode trekking-stylisée. Alice Pfeiffer
Le monsieur ci-contre est frileux, si frileux qu’il sortira enveloppé dès cet automne d’une parka XXL cosignée par Napapijri, spécialiste de la randonnée et du grand froid, et Martine Rose, styliste à la tête du label avant-garde du même nom et designer pour Balenciaga. “C’est la rencontre du nord de Londres et du pôle Nord !”, s’exclame la presse mode britannique au sujet de la collaboration qui comprend aussi des salopettes molletonnées, d’épaisses polaires et des hauts thermiques. Cette esthétique spécial trekking a déjà un nom viral dans la branchitude outre-Atlantique, le ‘gorpcore’. “Gorp”, pour “granola-oats-raisinspeanuts” (granola, avoine, raisins secs, cacahuètes), un mélange énergétique consommé par les montagnards ; “core”, comme le noyau, notre âme stylistique.
Autrement dit, le modeux fait là ce qu’il a toujours fait de mieux : il est parti chercher le chic là où le commun des mortels le penserait tragiquement absent. Et cet hiver, c’est auprès d’une esthétique fonctionnelle et popularisée en France par les griffes Quechua et Patagonia que la mode a décidé de poser bagages.
Dans le même courant s’inscrivent les doudounes d’inspiration ski de fond et sacs de couchage Balenciaga, les bananes Versace ou Givenchy (mais portées à travers la poitrine ou au bras comme un sac à main), les coupe-vent fluo Supreme x Stone Island, les manteaux de snowboard The North Face et Junya Watanabe, les tops heat tech Uniqlo repensés par Christophe Lemaire.
Les plus avertis verront facilement la généalogie de cette tendance : il ne s’agit de rien d’autre que de l’enfant du normcore (qui consiste à s’habiller comme un touriste américain) et de l’athleisure (le vêtement de sport porté loin de la salle de sport). Le résultat est ce que le New York Magazine décrit comme un flirt entre luxe et “fashion as function”, le vêtement dans sa fonction première.
Voici une promesse d’authenticité dont la technicité dicte l’apparence et non l’inverse. Une pensée radicale et nécessaire dans l’Amérique actuelle : “Après les élections, cette mode ancrée dans la nature et par extension dans l’environnement est une promesse de retour à des valeurs essentielles et à la portée plus politique que jamais”. Qui offre au passage un voyage de la nature jusqu’à la ville à défaut du contraire – et une échappatoire le temps d’un trajet entre le métro et le bureau.