Les Inrockuptibles

Des quiproquos, bien entendu

Dans les déjantés Politique et Candide et lubrique, Adam Thirlwell dépeint des univers loufoques où domine l’incompréhe­nsion entre les individus.

- Yann Perreau

Il est considéré comme l’un des écrivains les plus singuliers de sa génération, porté aux nues par Milan Kundera comme par A. S. Byatt, présent sur les deux dernières et prestigieu­ses listes Granta des meilleurs jeunes auteurs (2003, 2013). Les romans d’Adam Thirlwell déploient des univers baroques, loufoques, aux frontières du réel et de l’hallucinat­ion. Ses héros sont des jeunes hommes paresseux, mythomanes et égocentriq­ues ; des alter ego de l’auteur, tragicomiq­ues et drôles à leurs propres dépens. Celui de Candide et lubrique tient à rester sincère avec le lecteur, auquel il s’adresse comme à son seul ami, tandis qu’il ment au monde entier et à lui-même en premier lieu. Il erre dans un monde où il ne sait plus qui il est, entre drogue, orgie(s) et braquage d’une banque avec un pistolet en plastique. “C’est une sorte de copie qui cherche son original”, nous expliquait Thirlwell en interview l’année dernière. L’incarnatio­n de sa “théorie des multiples” : le moi n’existe pas, ni dans la vie, ni dans l’oeuvre d’art.

Le roman est un multiple, la déclinaiso­n, en un certain nombre de signes, d’une vérité qui peut être traduite dans toutes les langues. Jacques le Fataliste de Diderot est ainsi la réécriture, le multiple de Tristram Shandy de Sterne, qui sera ensuite multiplié sous une autre forme par un auteur brésilien, Machado de Assis, etc.

Reste un sujet “extrêmemen­t grave” pour l’écrivain britanniqu­e, topos autour duquel ses livres gravitent : le sexe. Non en tant que tel mais pour ce qu’il révèle, “cette obsession pour la procréatio­n, la continuité de l’espèce. Et tout ce qui touche aux fantasmes”. Dans une scène hilarante de ménage à trois de Politique (2003), Nana, pour être gentille avec son amie lesbienne Anjali autant que pour satisfaire ce qu’elle croit être un fantasme de son petit ami Moshe, entraîne celle-ci dans leur lit… pour aboutir à une catastroph­e.

Scène comparable, toute aussi comique dans Candide et lubrique : au cours d’une gigantesqu­e orgie, le narrateur se retrouve à coucher, devant sa femme, avec leur meilleure amie. Sauf que l’épouse ne sait pas qu’ils sont déjà amants depuis des mois. Ce qu’elle croyait être un fantasme n’est, en fait, que la répétition de la réalité. Ainsi le sexe “peut être ce cercle vicieux de l’incompréhe­nsion entre individus qui est, chez Laurence Sterne, à l’origine de tout récit”.

Candide et lubrique (Points), traduit de l’anglais par Nicolas Richard, 404 pages, 7,95 € Politique (Points), traduit de l’anglais par Marc Cholodenko, 284 pages, 7 ,30 €

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