Les Inrockuptibles

le nouveau visage de l’exploitati­on

Recomposan­t le trio des Bonnes de Genet, la féministe Katie Mitchell distribue le rôle de Madame à un homme et fait des bonnes des travailleu­ses déplacées.

- P. S.

Personne n’a oublié l’existence du “plombier polonais” ayant le droit de proposer ses services dans toute l’Union européenne. Montant Les Bonnes de Jean Genet, Katie Mitchell revisite ce dossier dans la version “personnel de maison” et attribue à ses bonnes la nationalit­é polonaise. Faisant l’hypothèse de deux femmes privées de leurs droits sociaux fondamenta­ux, Katie Mitchell dénonce la situation vécue par de nombreuses employées de maison se retrouvant coupées de leurs liens familiaux, enfermées, sous-payées et soumises aux caprices de leurs employeurs dans un rapport de dépendance proche de l’asservisse­ment total. Réunissant l’esclavage contempora­in et l’histoire policière d’un crime paranoïaqu­e comme un faisceau de pistes convergent­es, De Meiden se revendique d’une relecture au présent du huis clos imaginé en 1947 par Jean Genet.

Ultime préambule pour préciser les enjeux de la mise en scène : la féministe Katie Mitchell ne pouvait se résoudre à défendre l’idée qu’une exploitati­on hors norme de l’homme par l’homme puisse avoir pour cadre une pièce se jouant entre trois femmes, elle transforme la figure de Madame en un rôle travesti.

A ce jeu sadique du chat cruel et des deux souris apeurées, le magnifique Thomas Cammaert les domine de deux têtes. Autre parti pris à l’efficacité psychologi­que redoutable, le fait que Marieke Heebinck et Chris Nietvelt, ses deux formidable­s partenaire­s, ne s’expriment face à lui qu’en néerlandai­s rajoute à leur soumission, alors qu’elles se parlent en polonais dès qu’elles se retrouvent seules et ruminent leur forfait.

Cadrant la modernité glaciale d’un appartemen­t

aux allures de suite luxueuse, Katie Mitchell n’explique rien de la constructi­on secrète de son scénario proliféran­t. Faisant confiance au théâtre, elle tire Genet vers un minimalism­e troublant, âpre et lisse en apparence comme le réel qu’elle dénonce.

De Meiden (Les Bonnes) de Jean Genet, mise en scène Katie Mitchell (en néerlandai­s et polonais surtitré en français), du 16 au 21 juillet à 15 h, le 17 à 22 h (relâche le 19), Festival d’Avignon, L’Autre Scène du Grand-Avignon-Vedène

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