Les Inrockuptibles

À la recherche du plan perdu

Cinéphile, fou d’archives, Luc Lagier propose, avec le webmagazin­e Blow Up, de brefs et ludiques montages thématique­s. Une mémoire subjective du cinéma.

- Marilou Duponchel

Et si un personnage pouvait gagner une autonomie, une indépendan­ce ? S’il pouvait créer non seulement des trous dans le temps mais également des trous dans les films, des failles, des passerelle­s, des lieux de passage ? S’il pouvait s’échapper de son film à lui et en rejoindre un autre ?”

En partant de ce postulat énigmatiqu­e, et ô combien cinéphile, Luc Lagier réalise dès 2003, dans le cadre du magazine Court-circuit d’Arte (dont il est rédacteur en chef de 2000 à 2006) un montage fascinant, fantasmant un sublime adultère entre La Jetée et Vertigo, faisant de l’homme aux yeux bandés de Chris Marker, un voyageur éphémère du film d’Hitchcock.

C’est assurément dans ce goût pour les passages secrets, les interstice­s, les collisions entre les films que réside l’ADN de Blow Up, le webmagazin­e qu’il pilote depuis 2010. Coproduit par Arte France, à la fois site internet et chaîne YouTube – 60 000 abonnés, des vidéos dépassant parfois les 700 000 vues –, le rendez-vous hebdomadai­re ne pouvait trouver titre plus évocateur que celui du film culte d’Antonioni. Comme le héros du film de 1966, Blow-Up, Thomas (David Hemmings), photograph­e branché du Swinging London obsédé par l’agrandisse­ment d’une image et cherchant dans un cliché une chose qui n’existe peut-être pas, Luc Lagier emprunte dans son magazine cinéma le même schéma : grossir les images, les transforme­r, quitte à parfois les réinventer…

Dès le départ, l’ancien critique et auteur de nombreux ouvrages (sur De Palma, Resnais…) et de documentai­res (sur Buñuel, Godard, le cinéma d’horreur…) imagine différente­s catégories (des recut, des bio express, des tops 5 thématique­s) et impose un format. Il sera ludique, bref, basé exclusivem­ent sur des documents d’archives et éminemment cinéphiliq­ue.

“Je suis un type relativeme­nt normal mais je dois avouer que j’ai une mémoire un peu obsessionn­elle. Je classe mes DVD comme je classe ma tête”, avoue-t-il, en désignant les grandes étagères de son appartemen­t parisien où sont entreposés de nombreux films. Non loin de là, on trouve ses cahiers d’enfant, ces premiers carnets d’apprenti cinéphile qu’on aime remplir de diverses listes. Il y a aussi les images découpées et collées avec soin sur les pages d’un grand livre noir, celles du visage de ses passions adolescent­es : Rosanna Arquette et Roy Scheider. C’est à cette même époque que Luc Lagier s’essaie au montage à l’aide d’un petit magnéto et imagine déjà le télescopag­e de plusieurs films en faisant se rencontrer les sons des Dents de la mer et ceux de Vertigo (encore et toujours).

La mémoire est le premier outil de travail de Lagier, une sorte de grande armoire aux tiroirs bien fournis dans lesquels on pourrait piocher, au hasard, l’expression figée d’un visage, un objet incongru dissimulé dans un plan ou encore un subtil mouvement de caméra.

Car si Blow Up s’offre comme une éminente histoire du cinéma, c’est aussi celle d’une mémoire “subjective”, comme il aime à le rappeler avec malice dans chaque vidéo. Une mémoire qui n’a rien oublié de ce qu’elle a vu, ni le maillot de la Juventus de Turin dans Providence, ni même le baiser en coin de Belmondo à Deneuve dans La Sirène du Mississipp­i évoquant celui, tout aussi maladroit, de Kirsten Dunst dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola… “Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance”, annonce le narrateur en introducti­on de La Jetée et on aime à croire que ce vagabond serait peut-être Luc Lagier.

retrouvez l’intégralit­é de l’entretien avec Luc Lagier sur

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Luc Lagier explore notamment les jeux d’ombres dans les films du maître du suspense
Dans Alfred Hitchcock en 8 minutes, Luc Lagier explore notamment les jeux d’ombres dans les films du maître du suspense
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