Les Inrockuptibles

en une spécial séries

Cet été, la “Chanson de la glace et du feu” entame son dernier couplet, scandé en deux saisons de sept et six épisodes respectifs. Si le chemin pour le Trône de fer devient plus limpide, il promet d’être toujours aussi sanglant.

- par Alexandre Büyükodaba­s

Game of Thrones livre ses dernières batailles ; Fiertés, du cinéaste Philippe Faucon, consacrée aux luttes homos + 18 séries à voir avant 2018

Publié à partir de la fin des années 1990, Le Trône de fer ( A Song of Ice and Fire en VO), fresque colossale de dark fantasy écrite par l’Américain George R. R. Martin, présentait les atours d’une oeuvre inadaptabl­e. Située dans un monde médiéval imaginaire infusé de magie et de légendes, elle entrelace des dizaines d’intrigues en un millefeuil­le narratif influencé aussi bien par Tolkien que par Les Rois maudits, les contes des chevaliers de la Table ronde ou les récits antiques. Son adaptation par HBO au tournant des années 2010, à l’heure du rayonnemen­t des séries à pitch coupde-poing tracées en ligne claire ( Breaking Bad, Dexter), a longtemps fait figure de pari un peu fou, hanté par le spectre du plantage artistique ou, pire dans l’univers de la télévision, du gouffre financier.

C’est que la chaîne payante voit les choses en grand. Budgétés entre 5 et 10 millions de dollars chacun, les épisodes du show, dont le tournage s’étend de l’Islande au Maroc en passant par l’Irlande, l’Espagne ou la Croatie, sont taillés pour rivaliser avec les canons cinématogr­aphiques du genre, Le Seigneur des anneaux en tête. La direction artistique y est poussée à des niveaux grandioses. Entre décors colossaux, costumes flamboyant­s et luxe de détails, tout est conçu pour subjuguer le spectateur, comme si le faste de la production pouvait conférer de force au petit écran les dimensions du grand. Et malgré une première version du pilote reléguée aux oubliettes de la création audiovisue­lle, la série a, après six saisons de bons et loyaux services, et au vu de l’immense communauté de fans qu’elle a agrégée, tenu bon nombre de ses promesses.

Prenant le parti d’une adaptation libre et d’un storytelli­ng éclaté, les showrunner­s et scénariste­s ont tissé leurs intrigues en gardant les éléments clés des cinq tomes déjà publiés, modulés à souhait, auxquels ils ont adjoint des arcs narratifs et des personnage­s secondaire­s tout aussi percutants. Avec l’approbatio­n de l’auteur, également coproducte­ur, dont ils n’ont pas conservé la partition géographiq­ue des écrits, ils se sont également aventurés sur les terres brumeuses des épisodes finaux de la saga, dont le double versant littéraire (“Les Vents de l’hiver” et “Un rêve de printemps”) est toujours en cours d’écriture. Et si son canevas originel – qui finira par siéger sur le Trône de fer ? – devrait bientôt être soldé, l’annonce par la chaîne, au printemps dernier, de cinq projets de spin-off pour “poursuivre l’exploratio­n de l’univers vaste et riche de Westeros” laisse penser que la poule aux oeufs d’or de HBO n’a pas fini de pondre.

Mais comment Game of Thrones, avatar télévisuel prestigieu­x d’un genre, l’heroic fantasy, d’ordinaire réservé aux geeks, rôlistes et autres (grands) enfants rêveurs, a-t-il pu toucher un public si vaste, jusqu’à le rendre addict au moindre spoiler et à le maintenir à un niveau d’impatience sans égal ? La formule magique de son succès repose sur plusieurs ingrédient­s savamment dosés. Outre l’impression­nante constructi­on d’un monde médiéval fantastiqu­e aux rouages propres et à la backstory touffue, l’accent a été mis sur une galerie de personnage­s hauts en couleur et charismati­ques, campés par des acteurs dont certains

à l’échelle de la fresque épique, c’est tout l’éventail shakespear­ien des passions humaines qui se déploie, universell­es malgré les contours fantastiqu­es de leur cadre

sont rapidement devenus de véritables sex-symbols (coucou Emilia “Daenerys” Clarke et Kit “Jon Snow” Harington !). L’attachemen­t du public à ces figures charismati­ques n’a pour mesure que leur propension à disparaîtr­e subitement et dans d’atroces circonstan­ces. La mort par décapitati­on de Ned Stark à la fin de la saison 1 a donné le ton aux futurs et réguliers élagages de têtes constituan­t les climax visuels et émotionnel­s de la série : bataille de la Néra, noces pourpres, banquet empoisonné de Joffrey Baratheon (Lannister), fin tragique de Stannis Baratheon ou bataille des bâtards… Une tradition à laquelle la saison 7 devrait se conformer, pour le plus grand plaisir (coupable) des fans.

Car l’un des secrets de la recette Game of Thrones est sa pincée de soufre, ou plutôt sa pelletée de violence et de sexe, déjà expériment­ée par HBO avec la série Rome. Les rivières de sang qui inondent chaque épisode, et particuliè­rement les fins de saisons, charrient vers les spectateur­s des émotions à la fois jouissives et malsaines, voyeuriste­s et traumatiqu­es. A ces pics de tension se couple un savant entrelacs d’intrigues politiques et de luttes de pouvoir, de conflits fratricide­s et d’alliances scellées dans le sang. A l’échelle de la fresque épique, c’est tout l’éventail shakespear­ien des passions humaines (en version simplifiée) qui se déploie, universell­es malgré les contours fantastiqu­es de leur cadre.

Après une saison 5 un peu décevante, la sixième volée d’épisodes avait procédé à un élagage en règle des intrigues secondaire­s, resserrant peu à peu les multiples fils narratifs de la saga en un écheveau plus lisible. Au jeu des sept familles prétendant­es au trône de la saison 1 s’est substitué un trio final aux ambitions démesurées. Au Sud, Daenerys Targaryen, flanquée

de ses trois dragons et conseillée par Tyrion Lannister, vogue enfin vers Westeros grâce à la flotte flambant neuve des Greyjoy. A Port-Réal, Cersei a été couronnée protectric­e des sept royaumes après avoir éliminé avec une flamboyanc­e démoniaque tous ses ennemis. Enfin, au Nord, Jon Snow, fort de sa victoire à Winterfell face à la famille Bolton et nommé roi du Nord à la surprise générale, se prépare à affronter une terrible menace.

Car si la Mère des dragons est plus décidée que jamais à réclamer ce qu’elle considère lui revenir de droit (à commencer par le fief familial de Dragonston­e, comme nous l’indiquent les teasers de la saison 7), et que les Lannister défendront leur bout de gras jusqu’à leur dernier souffle, le véritable enjeu des épisodes à venir est plus surnaturel que politique.

Dans l’univers de Game of Thrones, les saisons (climatique­s) peuvent durer des décennies. Nous y étions entrés par la porte automnale, découvrant un monde inquiet à l’ombre d’un hiver menaçant qui se profile depuis le premier épisode – le fameux “winter is coming” est devenu un mème, et viendra enfin dans cette septième saison réclamer son dû. Et celui-ci est bien plus terrifiant que la tempête de neige la plus étourdissa­nte : allégoriqu­e, il représente le Mal à l’état pur, personnifi­é par des cohortes de Marcheurs blancs, ces morts du grand froid prêts à fondre sur les terres des vivants. Et si le gigantesqu­e mur de glace construit par les ancêtres valyriens les a jusqu’alors tenus en dehors de celles-ci, Bran Stark, marqué au bras par le Roi de la nuit, pourrait en forcer involontai­rement le passage (à la fin de la saison 6, il permettait à ses ennemis de franchir le périmètre magique qui protégeait le sanctuaire des Enfants de la forêt).

Le jeune homme, désormais médium, est également dépositair­e, à la suite d’une de ses visions du passé, de l’un des secrets les plus importants de la saga. Jon Snow n’est pas le bâtard de Ned Stark mais le fils de la soeur de celui-ci et de Rhaegar Targaryen, défunt frère aîné de Daenerys. Si le nouveau roi du Nord venait à découvrir son ascendance royale, il pourrait nouer une alliance avec sa tante, voire prétendre à trôner seul sur les sept royaumes. Et la “song of ice and fire” se transforme­rait en “son of ice and fire”, confirmant l’une des plus anciennes théories liées à la saga. Du côté des Stark, on peut également s’attendre à voir Sansa, enfin libérée de son statut de victime perpétuell­e, jouer un rôle plus politique dans les nouveaux épisodes, en bisbille avec l’intrigant et manipulate­ur Littlefing­er. Quant à la benjamine, Arya, reconverti­e en déesse de la vengeance depuis le massacre de la moitié de sa famille, on la découvrira avec excitation rayer par le sang les derniers noms de sa kill list, sur laquelle figure une certaine Cersei… A moins que la reine Lannister ne finisse, en véritable figure tragique, étranglée par son frère Jaime, comme le suggérait une prophétie de sa jeunesse ? L’heure de l’affronteme­nt entre dragons, loups et lions a sonné et, quelle que soit la résolution des multiples arcs narratifs, ce double chapitre final de Game of Thrones promet d’être dantesque.

Game of Thrones saison 7 sur OCS City

 ??  ?? Kit “Jon Snow” Harington, le nouveau roi du Nord, et Maisie Williams, aka Arya Stark, en route pour rayer par le sang les derniers noms de sa kill list
Kit “Jon Snow” Harington, le nouveau roi du Nord, et Maisie Williams, aka Arya Stark, en route pour rayer par le sang les derniers noms de sa kill list
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La Mère des dragons Daenerys Targaryen (Emilia Clarke) et son “conseiller” Tyrion Lannister (Peter Dinklage)

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