Welcome back in the tearoom

Avec le jeu vidéo gratuit The Tearoom, référence aux toilettes publiques servant de lieu de rencontres gay à Mansfield (Ohio) dans les années 1960, Robert Yang pointe la censure et l’hypocrisie d’hier et d’aujourd’hui.

Robert Yang ( Cobra Club, Stick Shift entre autres) persiste dans le jeu vidéo indépendant, gratuit – vous pouvez tout de même faire une donation, de quoi au moins “payer une bière”, dixit l’auteur sur son site –, gay et très engagé. Dans The Tearoom, il s’agit d’uriner à volonté, de tirer la chasse d’eau et d’ouvrir l’oeil dans des toilettes publiques réservées aux hommes à Mansfield (Ohio), en 1962. Débarque un inconnu à vos côtés. Echange de regards. S’il est intéressé, vous pourrez lui prodiguer une fellation en vue de gagner des points. Mais attention, un flic est posté à l’extérieur...

L’endroit et l’année choisis par Yang ne sont pas innocents : la police du coin avait effectivement planqué une caméra derrière une glace sans tain dans des WC connus pour être le “salon de thé” local – le surnom donné aux toilettes comme lieu de rencontres. Sur la foi de ces preuves (“basiquement, l’un des premiers films pornos gay en couleur de l’histoire”, note Yang), elle interpella trente-huit hommes en vertu de la loi antisodomie d’alors.

En bon prof de video game, Yang déconstruit le frisson de base du joueur – la peur de l’ennemi, de perdre –, qu’il transfère sur un terrain plus réaliste et politique. Et pointe la pénalisation toujours en vigueur des gays pour “attentat à la pudeur” dans certains Etats américains. The Tearoom dénonce aussi la censure et l’hypocrisie absurde des jeux vidéo qui reconstituent dans leur univers des salles de bains/toilettes avec force détails, mais sans jamais permettre leur usage.

Censure et hypocrisie qui obligent aussi Yang à remplacer ici les pénis par des armes à feu pour pouvoir diffuser son jeu. Et là, on bascule du côté de David Cronenberg (Videodrome) à la vue de ces flingues de chair qui se redressent sous l’excitation, reprennent une couleur métallique et tirent en l’air en guise d’éjaculation. L’astuce, freudienne mais d’abord lumineuse, fait flotter le jeu entre réalisme, revendication et fantasme – une constante dans les jeux de Yang dont l’élément le plus excitant est de toujours remettre en question la position du joueur. Léo Soesanto

jeu vidéo radiatoryang.itch.io/the-tearoom