Les Inrockuptibles

Une vie violente de Thierry de Peretti

Avec une grande économie de moyens, le film interroge la fonction et l’ancrage de la violence politique dans la société corse.

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Il se passe quelque chose avec le cinéma corse. Depuis quelques années maintenant, le collectif Stanley White rassemble des cinéastes de l’île de Beauté, jusqu’à présent surtout remarqués pour leurs formats courts et moyens, essentiell­ement dans l’univers du documentai­re de création. Des oeuvres plutôt repérées dans les festivals que lors des sorties en salles, à l’image du beau Lupino de François Farellacci.

Ce regroupeme­nt en gang est assez singulier dans un cinéma français pas aussi strictemen­t parisien qu’on aime le dire, mais pas non plus accoutumé à ce genre de formations maquisarde­s. Il offre aussi l’occasion de faire de la Corse, peu filmée sinon dans le contexte des vacances ( Un moment d’égarement, de JeanFranço­is Richet, en 2015) ou, plus généraleme­nt, de l’échappée libertaire ( Adieu Philippine, de Jacques Rozier en 1963, Apnée, de Jean-Christophe Meurisse, en 2016), un point nouveau de la carte cinéphiliq­ue (le collectif revendique sa parenté avec quelques cinématogr­aphies connues : portugaise, taïwanaise, chinoise ou du Southern Gothic américain…) et un laboratoir­e de cinéma au présent.

Thierry de Peretti, déjà remarqué ici et ailleurs avec Les Apaches (2013) est le plus avancé de la bande. Une vie violente, son deuxième long métrage, ressemble à un acte de confirmati­on en bonne et due forme de cette clique insulaire. Par son ambition de grande fresque tragique, sa narration riche et équilibrée, loin de la sauvagerie du coup d’essai ; et bien sûr par son sujet, puisque le film (certains reconnaîtr­ont le titre du roman de Pasolini, on leur laisse le soin de déterminer le rapport secret que le film et le livre entretienn­ent) narre rien de moins que le nationalis­me, par le biais de la vie d’un militant d’extrême gauche fatalement connecté au banditisme, aux vendettas idiotes et au risque d’une mort brutale.

Existence tragique que nous découvrons au moment exact où Stéphane, c’est son nom, manque sa dernière chance d’échapper à ce destin : il quitte ses études parisienne­s pour rentrer au pays y enterrer son ami d’enfance assassiné la veille, et laisser la pulsion vengeresse faire le reste.

Du grand survol qui suit, plongée dans les arcanes de l’activisme clandestin, montage façon château de cartes d’un début de vie “normale” (un mariage par ci, un apéro par là…) qu’on dirait faite pour être abattue brutalemen­t en deux ou trois fusillades inévitable­s, on ne retient que peu de scènes vraiment sanglantes et aucune propension au spectacle. Plutôt une façon remarquabl­e d’enraciner la violence dans la culture, dans quelque chose de domestique, de naturel, et donc d’irrémédiab­le : terribles paradoxes de ces entourages familiaux qui feignent de déplorer les gâchettes faciles de leurs mauvais garçons mais semblent toujours encourager d’un sourire en coin leur tempéramen­t orageux et leur sens du sacrifice.

S’il ne devait rester qu’une scène, ce serait peut-être justement celle de ces mères, rombières à la peau cramoisie qui, sirotant leur mauresque sur la toile cirée de la terrasse, parlent de morts passés et à venir comme de la pluie et du beau temps, autour d’une maman éplorée, celle de Stéphane, qui seule semble se dire que cette “vie violente” est bel et bien acceptée, sinon choisie voire adorée par tout un peuple qui aime voir mourir les hommes. Théo Ribeton

le réalisateu­r fait partie du collectif Stanley White, qui rassemble des cinéastes de l’île de Beauté

Une vie violente de Thierry de Peretti avec Jean Michelange­li (Fr., 2017, 1 h 47) en salle le 9 août

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