la 9e femme par François Ozon
Le metteur en scène du Temps qui reste se souvient des affinités de Jeanne Moreau avec son personnage de grand-mère affranchie.
“Quand je repense à 8 femmes, j’ai un seul regret : que le film ne se soit pas appelé “9 femmes” et que Jeanne Moreau n’ait pas fait partie de l’aventure.
Car il manquait bien une génération d’actrices françaises entre Catherine Deneuve et Danielle Darrieux, celle de Jeanne. Aujourd’hui, je me dis qu’elle aurait été parfaite en grand-tante fantasque et libertaire, comme la première muse de François Truffaut qu’elle fut, faisant le lien entre Fanny Ardant et Catherine Deneuve (chacune des trois a tourné deux fois avec Truffaut).
Elle était trop fière pour le reconnaître, mais je savais sa déception que je n’aie pas fait appel à elle, alors que nous nous connaissions – grâce à Jean-Claude Moireau, son biographe et mon photographe de plateau –, et qu’elle avait suivi avec tendresse et enthousiasme mes premiers pas, dès mes courts métrages, n’hésitant pas à m’envoyer des lettres d’encouragements. Je connais peu d’actrices de sa trempe qui avaient autant d’amour à donner aux jeunes cinéastes.
Lorsque nous avons finalement travaillé ensemble pour Le temps qui reste, elle m’a tout de suite dit : ‘J’espère
que ce n’est pas un rôle de grand-mère en chaise roulante comme celui de Danielle Darrieux dans 8 femmes !’ Eh bien si, c’était un rôle de grand-mère, mais de grand-mère sensuelle, libre, amoureuse, prête à partir avec son petit-fils atteint d’une maladie incurable. Elle a aimé le personnage et a tout de suite voulu le défendre car il lui ressemblait. Nous avons passé des moments extraordinaires ensemble à parler de cinéma, de la vie, à réécrire le scénario, à préparer le film, à le tourner, puis à voyager pour le défendre à l’étranger. Avec Jeanne, tout était intense et passionnel, au risque souvent de la décevoir, car elle donnait tout au cinéma, au film et surtout au réalisateur…
Je me souviens d’un soir où je lui ai confié : ‘Au fond, vous êtes un peu présente dans 8 femmes à travers le personnage de Louise, joué par Emmanuelle Béart, habillé comme vous dans Le Journal d’une femme de chambre, portant les mêmes bottines…’ Jeanne n’a rien dit, elle m’a souri, et j’ai compris mon indélicatesse. Elle ne voulait plus s’embarrasser de regrets, seuls le présent et l’avenir l’intéressaient.”