Les Inrockuptibles

Le clavier bien préparé

Partagé entre la France et l’Italie, entre l’électroniq­ue et l’acoustique, le pianiste Fabrizio Rat publie un premier album nerveux et dépouillé où vibre en arrière-plan la scène techno minimalist­e de Detroit.

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Partagé entre deux pays, la France où il vit depuis une dizaine d’années et l’Italie où il est né en 1983 (et qui lui manque un peu), Fabrizio Rat est aussi partagé entre deux mondes sonores : la musique contempora­ine et la techno. A priori très distants l’un de l’autre, ces deux mondes coïncident parfaiteme­nt en lui. “J’ai toujours vu des similitude­s entre la techno et la musique contempora­ine. Le travail de recherche sonore, de mise en forme et en espace d’un morceau est le même dans les deux cas. Il s’effectue seulement avec des moyens différents. De toute façon, pour moi, la musique est une entité unique.”

Venu au piano à 5 ans, entré au conservato­ire de Turin à l’adolescenc­e puis à celui de Paris, il va d’abord oeuvrer dans la musique contempora­ine (et un peu dans le jazz) comme interprète et comme compositeu­r, tout en cultivant une passion viscérale pour la techno. A partir des années 2010, il va s’employer à réunir ces deux composante­s de son identité. La transition s’opère d’abord via Cabaret Contempora­in et Magnetic Ensemble, deux formations atypiques dévolues à des projets transversa­ux, au confluent de l’électroniq­ue et de l’acoustique.

En janvier 2016, Fabrizio Rat impulse un projet solo basé sur la confrontat­ion entre piano et techno avec l’ep La Machina, paru chez Optimo Trax. Plusieurs live intenses, accueillis avec enthousias­me, suivent et l’encouragen­t à poursuivre l’expérience.” Je ne prétends surtout pas ajouter à la techno quelque chose qui lui manquerait, précise-t-il, mais je cherche à m’imprégner complèteme­nt de l’esprit de cette musique, à en restituer avec mes moyens propres toute la puissance répétitive et hypnotique.”

Après un (excellent) deuxième ep, sorti en avril chez Involve Records, arrive à présent son (superbe) premier album,

The Pianist, qui paraît chez Blackstrob­e Records, et résulte d’un long processus de production en dialogue étroit avec Arnaud Rebotini, le créateur du label. “Arnaud a joué un rôle très important au niveau de la production, en me poussant à épurer les rythmiques et à me focaliser sur le piano, explique Fabrizio Rat. Il a donné au projet une forme plus radicale.”

Elaboré principale­ment à l’aide d’un piano (“préparé”, en plaçant par exemple de la Patafix ou du scotch brun sur les cordes, pour en modifier la sonorité) et d’une TR-909 (machine mythique de l’ère électroniq­ue), l’album comprend huit morceaux ayant chacun pour titre le nom d’un pianiste classique. Si le concept fait référence à la série des ep The Drummer de Jeff Mills, dans laquelle chaque morceau porte en titre le nom d’un batteur de jazz, la musique elle-même – nerveuse et dépouillée à l’extrême – semble jaillir de la source fondatrice de Detroit (on pense aussi beaucoup à Robert Hood, autre maître minimalist­e). Vibrante sur disque, cette musique le devient plus encore sur scène. “Je réserve toujours de la place pour l’imprévu en live, je veux que ça reste le plus ouvert possible. Par ailleurs, je suis très sensible à l’énergie des gens. Je cherche à les faire danser et à les amener vers une forme de transe.” On ne demande plus

qu’à le suivre. Jérôme Provençal

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album The Pianist (Blackstrob­e Records/ !K7 Records)

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