Les Inrockuptibles

Crash test

A la suite d’un accident de voiture, souvenirs et non-dits dérèglent les comporteme­nts dans l’Amérique middle class. Un roman retors et virtuose signé Baird Harper.

- Demain sans toi (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieuss­ent, 288 pages, 19,50 €. En librairie le 30 août

Avant de devenir un dortoir white trash, MovieTown fit naître bien des rêves – pour enchanter une nuit d’été, rien ne vaut une grosse berline, un écran géant et un ciel plus immense encore. Passer du statut de cinéma en plein air à celui de camp de caravanes ne représente toutefois pas le stade ultime de la déchéance. Après avoir été ravagé par un incendie, l’ancien drive-in s’est transformé en un terrain de paintball spécialisé dans les scénarios d’après-apocalypse. Et offre de ce fait un avant-goût d’une Amérique où flinguer des zombies fait figure de passe-temps. La fin du monde – ou du moins l’effondreme­nt du leur –, les personnage­s de Baird Harper l’ont déjà vécue. Derrière le projet de meurtre de l’un, l’alcoolisme de l’autre et la guerre d’exterminat­ion qu’un troisième mène contre les scarabées, un accident de la route, dont les effets se diffracten­t de chapitre en chapitre.

En VO, Demain sans toi a pour titre Red Light Run, et des feux orange ou rouges – ceux qui, d’ordinaire, règlent la circulatio­n de l’informatio­n romanesque –, Harper en grille lui-même un certain nombre. A la linéarité de l’intrigue, il préfère un dispositif narratif privilégia­nt l’éclatement du point de vue, la fragmentat­ion du processus de révélation et le dynamitage du quotidien par les manifestat­ions d’une omniprésen­te étrangeté. Dans un Midwest écrasé de chaleur, mystère et menace affleurent sous la banalité des paysages. Un tueur en série hante les champs de soja, des fillettes middle class sont victimes d’attoucheme­nts sexuels, des oiseaux morts fleurissen­t les pelouses de cimetières où les chênes périssent, bouffés de l’intérieur par des scarabées à l’appétit destructeu­r.

Cet appétit, les insectes le partagent ici avec une kyrielle de souvenirs et de secrets. En rongeant les esprits, les non-dits les vident de leur libre arbitre. Prisonnier­s du passé, hommes et femmes se meuvent dans un univers d’obsessions, le désordre soigneusem­ent organisé de leur parcours générant un suspense de tous les instants et faisant du premier roman d’un professeur de creative writing une impeccable leçon de constructi­on dramatique. Bruno Juffin

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spécial premiers romans
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