Les Inrockuptibles

Rome en scène

Producteur fascinant de l’electro française, Rone est aussi un DJ qui maîtrise l’art de faire passer son public par tous les états. Pour en savoir davantage, on l’a questionné sur son processus de création et son expérience du live. L’idéal étant d’aller

- propos recueillis par François Moreau

Tu étais à la Philharmon­ie de Paris en janvier pour un live hors norme et assez exceptionn­el. Quels souvenirs gardes-tu de ce moment ? Rone – Il s’agit d’une date vraiment spéciale pour moi et cela reste un souvenir très fort. Déjà pour le lieu qui est assez dingue, mais aussi parce que c’était une création unique que je ne jouerai pas deux fois, avec énormément de collaborat­ions. Je pense que c’est ça qui m’a le plus marqué. Il y avait John Stanier de Battles à la batterie, le trio à cordes Vacarme et mon ami Alain Damasio, auteur de science-fiction. C’est la première fois qu’il montait sur scène avec moi. Il y a eu aussi toute la préparatio­n du concert en amont ; ça veut dire beaucoup de temps passé avec tous les musiciens en studio. Ce sont des moments très forts.

Cet aspect collaborat­if, déjà présent sur Creatures, ton dernier album, est-il important pour toi quand tu travailles sur un nouveau projet ?

Oui. En tout cas, c’est un truc que j’aime de plus en plus. Quand je fais de la musique, je passe la plupart de mon temps tout seul avec mon laptop, sur la route ou en studio. C’est hyper important de faire des rencontres musicales, ça m’ouvre des portes que je n’avais pas soupçonnée­s. Ça me nourrit complèteme­nt. Je pourrais continuer à travailler seul, mais voir le résultat d’une collaborat­ion est ce qu’il y a de plus gratifiant. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple, mais c’est là où je prends le plus de plaisir.

La présence de musiciens sur scène donne une ampleur inédite à ta musique. Quand John Stanier se charge des sections rythmiques, par exemple, ça t’offre de nouvelles possibilit­és.

Oui, c’est évident. C’est marrant d’ailleurs, parce que je me souviens de l’époque où j’ai commencé à bidouiller

“les petits accidents qui m’aident à faire des disques en studio se produisent aussi sur scène et c’est ce qui me plaît” Rone

de la musique électroniq­ue tout seul dans mon coin, avant même de sortir des disques. J’adorais le fait d’être une espèce de chef d’orchestre qui contrôle tout, qui manipule tout, autant la partie rythmique que la partie mélodique. J’aimais bien avoir l’impression de tout faire. Maintenant, j’aime bien faire entrer quelque chose d’étranger dans ma musique, qui va lui faire prendre une route que je n’avais pas forcément prévue. Je n’avais jamais autant sorti de synthés sur scène que lors de mon concert à la Philharmon­ie ; donc, quand tout à coup je n’ai plus à m’occuper de la partie rythmique, ça me permet de me concentrer plus profondéme­nt sur le reste.

Quand tu travailles en studio, il y a une part d’accident dans ton processus de création. C’est quelque chose que tu recherches aussi sur scène ?

Pour la scène, il y a beaucoup de préparatio­n. Pour notre concert à la Philharmon­ie, on a répété chaque morceau, ça n’était pas de l’improvisat­ion. Tout était vraiment réfléchi : on a discuté, on a essayé des choses différente­s, de façon à pouvoir poser un cadre et des rails sur lesquels, évidemment, il peut se passer quelque chose d’imprévu. Les petits accidents qui m’aident à faire des disques en studio se produisent aussi sur scène et c’est ce qui me plaît. Le fait de jouer avec des musiciens sur scène va dans ce sens-là. Ça vient agrandir la marge d’accidents possibles. Alain Damasio, par exemple, est totalement imprévisib­le. Il arrive en studio avec des textes, on les travaille, on réfléchit à comment ça peut marcher sur la musique… Mais comme il est écrivain et qu’il n’a pas du tout l’expérience de la scène, qu’il n’est

ni chanteur ni rappeur, il déclame les textes. Il est en roue libre. Tu vas beaucoup en club ? J’y suis beaucoup allé à une époque. Quand j’habitais à Berlin, notamment. J’en ai pas mal profité, j’allais souvent au Berghain. Mais maintenant, j’y vais seulement quand je dois jouer. Je fais assez peu de concerts finalement, parce que je suis souvent sur la route. J’aime bien les festivals car je peux en profiter pour aller voir des choses, m’en nourrir. Mais non, je n’ai jamais été un gros clubbeur.

Tu as vu le show d’Aphex Twin cette année ? Des caméras captaient les visages des spectateur­s qui, une fois projetés sur les écrans géants, étaient complèteme­nt déformés. Une expérience surprenant­e et inquiétant­e à la fois. Que cherches-tu à provoquer chez le public lorsque tu es sur scène ?

Ça dépend un peu de mon état d’esprit. Souvent, j’ai juste envie que ça soit une grosse fête. J’adore quand je lève la tête que les gens sourient et que les couples s’embrassent. En festivals, on voit souvent des filles sur les épaules de leur copain, ou des types qui ne sont pas encore leur copain, mais qui vont bientôt le devenir… J’adore quand on me dit : “Je suis sorti avec ma copine pendant ton concert”, ça me fascine. Après, en tant que spectateur – et du coup j’essaie de le faire aussi quand je joue –, j’aime qu’un concert soit une expérience où on passe par plusieurs états d’esprit différents. J’aime susciter l’angoisse, puis être rassurant, qu’il y ait du relief… J’assimile ça un peu à un bon film où il y aurait du suspense, un climax, un happy ending. Il faut avoir l’impression de vivre quelque chose. Même dans un set très electro, j’aime bien l’idée de pouvoir faire quelque chose de très doux, et puis d’un coup accélérer le tempo.

Ressens-tu le besoin de présenter à chaque fois quelque chose de nouveau au public ?

Sur l’album précédent, c’était vraiment pour moi le principal objectif. Je voulais réussir à me réinventer. Je voulais surprendre. Puis c’est devenu tellement évident que je ne pense plus à tout ça. Je fais les choses un peu plus sereinemen­t qu’avant. C’est difficile à expliquer, c’est comme si j’essayais de prolonger mon petit chemin en tentant des choses un peu nouvelles, un peu différente­s.

Tu joues à Rock en Seine ce dimanche. A quoi faut-il s’attendre ?

C’est un concert de transition un peu spécial, calé entre la Philharmon­ie et la sortie de mon prochain album pour lequel je vais travailler un nouveau live. Il y aura des vieux morceaux et des nouveaux. J’ai beaucoup hésité parce que je voulais m’entourer de plein de gens, faire revenir John Stanier à la batterie. Puis, récemment, je me suis dit que c’était mieux d’y aller seul pour ce nouveau projet. Il y a un petit côté laboratoir­e dans le fait d’expériment­er sans savoir exactement ce que ça va donner.

concert le 27 août (21 h) à Saint-Cloud (festival Rock en Seine) album Mirapolis (sortie en octobre)

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