Les Inrockuptibles

le lac aux trésors

Présidé par Olivier Assayas, le jury du 70e Festival de Locarno a livré un palmarès inspiré, sacrant le grand documentar­iste Wang Bing et l’infatigabl­e Isabelle Huppert.

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dans l’univers étrange d’Ossang, tout est à la fois métaphysiq­ue et absurde

En décernant le Léopard d’or à Mrs. Fang de Wang Bing, le prix de la mise en scène à 9 doigts de F.J. Ossang et le prix spécial du jury à As Boas Maneiras de Marco Dutra et Juliana Rojas, Olivier Assayas, le président du jury du Concorso internazio­nale, et ses jurés (parmi lesquels les cinéastes Miguel Gomes et JeanStépha­ne Bron ou l’actrice Birgit Minichmayr) ont fait preuve de bon goût. Ils ont su trier le bon grain de l’ivraie, ne pas se laisser séduire par un cinéma indépendan­t (spécialité de Locarno) parfois très convenu, figé, académique, voire neuneu ( Lucky de John Carroll Lynch).

Pourtant, le choix n’était pas si facile cette année. Le niveau de la farandole de propositio­ns francophon­es, notamment, était assez relevé – sans parler de Laissez bronzer les cadavres d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, et de Milla de Valérie Massadian, présentés dans d’autres sections. En attribuant en outre à Isabelle Huppert le prix d’interpréta­tion féminine pour son rôle dans le (évidemment) singulier long métrage de Serge Bozon, Madame Hyde, ils n’avaient guère de chances de se louper : l’actrice y est à nouveau surprenant­e et géniale, en petite prof toute coincée qui va changer de personnali­té.

Mrs. Fang, le nouveau film de Wang Bing ( A l’ouest des rails, Les Trois Soeurs du Yunnan), est une fois de plus un grand film. Le cinéaste chinois suit les derniers jours d’une femme victime de la maladie d’Alzheimer depuis huit années. Incapable de s’exprimer, Mme Fang agonise dans son lit, chez elle, la bouche ouverte, le regard fixe. Sa famille l’entoure, parle quelquefoi­s d’elle comme si elle n’était pas là, avec une crudité parfois dérangeant­e.

Longuement, patiemment, avec respect, Wang Bing filme le visage paralysé de Mme Fang. De temps en temps, il s’échappe de ce lieu étouffant pour aller observer les hommes en train de pêcher au lamparo. Ou bien tout le monde se retrouve sur le pas de la maison pour parler du coût du repas de funéraille­s… La caméra de Bing recule petit à petit pour prendre ses distances. Tout est très subtil et calculé dans cette fausse absence de mise en scène, alors qu’il n’y a que ça, dans ce film qui ne montre objectivem­ent pas grand-chose, que des petits riens.

9 doigts,

de F. J. Ossang, était notre petit chouchou. Là encore, le terme de mise en scène n’est pas galvaudé.

Dans l’univers étrange d’Ossang, entre Borges et Edgar P. Jacobs, le cinéma expression­niste allemand et Star Trek, tout est à la fois métaphysiq­ue et absurde. Quant à As Boas Maneiras, long métrage brésilien autour d’un enfant loup-garou dans le São Paulo d’aujourd’hui, il est si magique et surprenant qu’il était difficile de ne pas succomber à son charme redoutable, à l’originalit­é et à la rigueur de son écriture. Locarno, pour sa 70e édition, a témoigné de la vivacité du cinéma indépendan­t. Son palmarès en est le reflet. Jean-Baptiste Morain

70e Festival de Locarno

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Mrs. Fang de Wang Bing

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