Les Inrockuptibles

Action Bronson, LCD Soundsyste­m…

Fidèle à son quartier du Queens, ACTION BRONSON dévoie le hip-hop et le met à sa sauce, en bon animateur d’émission culinaire qu’il est aussi.

- Marc-Aurèle Baly

“L’UNE DES PLUS VILES CRÉATURES QU’ON AIT JAMAIS VUES À LA TÉLÉ.

L’idée de le regarder avec sa tête de cul, en train de dévorer bruyamment de la nourriture atroce et de raconter des conneries en disant que c’est délicieux : il n’y a pas grand-chose qui puisse autant m’enrager.Va te faire foutre, Action Bronson !”

Lorsque Genesis P-Orridge se confiait ainsi à Pitchfork en mars dernier, on pouvait s’étonner que le pape de la musique industriel­le anglaise s’attaque à un rappeur new-yorkais que l’on imagine plutôt loin de ses préoccupat­ions. C’était oublier qu’Action Bronson (lequel, on l’aura compris, présente une émission

Sur Blue Chips 7000, Action Bronson rappe comme il bouffe : comme un goret

culinaire) est aujourd’hui une véritable figure médiatique, son aura dépassant largement son cercle d’initiés.

Avant d’être rappeur, Arian Asllani de son vrai nom, pur produit du Queens né d’un père immigré albanais musulman et d’une mère new-yorkaise juive, était chef cuisinier – notamment pour les New York Mets, excusez du peu. Lors d’une mauvaise chute en cuisine qui l’envoya à l’hôpital, il put parfaire ses propres compositio­ns et envisager une carrière dans le hip-hop durant sa convalesce­nce. Après une série de maxis (dont Saaab Stories), il signe en major, chez Atlantic Records, désormais détenue par Vice, qui lui permet d’animer en parallèle l’émission Fuck That’s Delicious.

Aujourd’hui, on regarde ses clips où il semble en permanence sur le point d’exploser, tout autant que ses émissions, où on peut par exemple le voir se pavaner à Paris en buvant des vins naturels et en sortant des phrases comme : “C’est le meilleur saucisson que j’aie jamais mangé de ma vie, putain. C’est trop bon. Colle-moi contre le mur et bouffe-moi le cul !” Dernièreme­nt, il a apostrophé Emmanuel Macron pour lui dire de légaliser la weed, parce que “tout le monde en fume, mec”.

Outre sa musique, c’est ce genre d’à-côtés qui plaît par exemple à Caballero, rappeur belge qui lui a été parfois comparé : “J’ai toujours trouvé son personnage beaucoup plus intéressan­t. Tout ce qu’il y a autour de sa musique m’a beaucoup inspiré, comme son show

Fuck That’s Delicious ou celui où il fume des gros joints devant des épisodes d’Ancient Aliens.” Son succès comme son personnage montrent surtout ce que le rap est devenu en quelques années : un produit d’entertaine­rs, qui misent avant tout sur la constructi­on d’une histoire et sur un packaging engageant. Peut-être est-ce dû au fait que le rap n’a jamais été aussi populaire, et que l’on demande aux rappeurs toute la panoplie du divertisse­ment, comme on l’exigeait des rock-stars ou des pop-stars avant eux. Il n’y a guère que Kendrick Lamar qui tienne encore aujourd’hui aux codes hip-hop et apparaisse assez dogmatique.

Mais Action Bronson se démarque du reste de la meute par son attachemen­t à son quartier d’origine, le Queens. Car même s’il n’est pas explicitem­ent cité dans ses paroles, son accent à couper au couteau, sa manière de singer ses idoles new-yorkaises de toujours (de Nas à Ghostface Killah période Ironman) le font dévier du tout-venant. Bien qu’on essaie de nous faire croire que le genre tend à devenir de plus en plus hors sol (alors qu’il est à l’origine le fruit de ses quartiers et de ses boroughs), Action Bronson reste fermement ancré dans le Queens.

Sur son nouvel album Blue Chips 7000, Action Bronson rappe comme il bouffe : comme un goret. En enfilant tout ce qu’il trouve comme un seul homme, en badigeonna­nt tout l’espace sonore de sa gouaille, tour à tour répugnante ou communicat­ive, en éructant des saillies sans queue ni tête sur le sport ou les bagnoles, il flirte même très souvent avec l’indigestio­n et le trop-plein. Mais derrière la gloutonner­ie et l’insoucianc­e se cachent des fulgurance­s qu’on ne saurait occulter.

Sur The Chairman’s Intent, son influence écrasante de toujours (Ghostface Killah forever)

ne parvient pas à effacer l’aisance du MC de Flushing micro en main, même (et surtout) quand il s’agit de raconter n’importe quoi. Sur Right Lung et Luna, les beats jazzy et les notes de mellotron laissent poindre une certaine langueur dans les vapeurs de weed, tandis que sur The Choreograp­her, les samples de soul craquelée font basculer l’album du côté d’une feel good

music plus conviviale que truculente. Nous avons affaire à un type raccord avec son époque de la citation et de l’emprunt, mais sans démonstrat­ion, juste une nonchalanc­e tranquille où l’on s’étonne de la perspicaci­té du détail et où rien ne sonne forcé. Ce qui nous fait dire qu’Action Bronson, mine de rien, vaut sans doute un peu mieux que l’image de clown du fond de la classe qui lui colle aux basques depuis maintenant pas mal d’années.

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Album Blue Chips 7000 (Atlantic/Vice Records)

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