La collection agnès b. à Avignon…
Agnès b. a prêté trois cents oeuvres à la COLLECTION LAMBERT. Pour une coupe transversale de l’histoire de l’art moderne et contemporain.
L’AMOUR DE L’ART A POUSSÉ
AGNÈS B. À COLLECTIONNER des oeuvres depuis près de quarante ans, sans calcul financier, sans volonté de placement ; seule compte la place de l’art dans sa vie. Aux codes cyniques de certains collectionneurs opportunistes mais sans goût (tels qu’on les croise dans les foires à l’affût des artistes cotés ou prêts à l’être), la styliste oppose l’ethos désintéressé d’une collectionneuse dont le seul principe de plaisir contemplatif guide les choix. Ses achats sont passionnels, nourris par la confiance qu’elle accorde à son regard, en dépit des doutes qui le traversent.
Après l’exposition d’une partie de sa collection au musée de l’Histoire de l’immigration à Paris en début d’année, c’est au tour de la Collection Lambert à Avignon de dévoiler une part encore plus dense des oeuvres d’agnès b. En sélectionnant plus de trois cents pièces (photos, peintures, vidéos, dessins…), son directeur Eric Mézil ne s’en tient pas à un seul geste d’enregistrement du meilleur d’une collection imposante (bientôt réunie dans une fondation à Paris) ; il esquisse le portrait en creux de la collectionneuse, tant ses pièces racontent quelque chose d’elle : plus que ses goûts, s’y dessinent ses obsessions, ses engagements, ses variations sur des mêmes thèmes, ses options politiques, ses fidélités, ses rêves, ses souvenirs…
Dans les salles du sublime hôtel de Caumont, où Yvon Lambert, vieil ami d’agnès b., a mis en dépôt sa collection personnelle, le visiteur est saisi par la cohérence d’un esprit, en dépit de formes et de styles disparates, qui semble animé
du même feu artistique, de la même aspiration pour l’avant-garde.
L’incroyable place de la photographie dans la collection – de Rodtchenko photographiant Maïakovski en 1925 à Man Ray photographiant Marcel Duchamp en 1930, de Brassaï à Weegee, d’Hervé Guibert à Claudine Doury, de Nan Goldin à Stephen Gill, de Malick Sidibé à Leïla Alaoui, par ailleurs exposée aussi au musée, un an après sa mort… – n’occulte pas l’attachement d’agnès b. à la peinture (Basquiat, qu’elle acheta bien avant qu’il ne devienne célèbre, Hantaï, Raymond Hains…), à la vidéo et au cinéma expérimental – Jonas Mekas, Kenneth Anger, Harmony Korine ou l’émouvant Bootleg (Bigmouth) de Douglas Gordon, transfigurant la figure de Morrissey, filmé au ralenti sur scène avec les Smiths, tel un shaman devant une foule en transe.
Outre les tropismes connus de la collectionneuse – la musique, l’Afrique, l’adolescence, le graffiti –, on découvre des pièces rares, comme ces dessins très simples d’Andy Warhol, du temps de sa jeunesse à Pittsburgh dans les années 1950, dévoilant des garçons assis sur une barrière, ceux de jeunes garçons par le cinéaste Gus Van Sant, ou ceux, faussement naïfs, de Daniel Johnston. Assumant un effet d’éparpillement, la collection d’agnès b. trouve son équilibre dans une puissante impression de liberté. Sans carcan, sans frontières, sans volonté de cadrer un geste de collectionneur parfait, elle semble contaminée par la générosité d’un regard, à l’affût des oeuvres qui bouleversent l’ordre sévère du monde. Jean-Marie Durand On aime l’Art… !! agnès b. Jusqu’au 5 novembre, Collection Lambert en Avignon
Pierres précieuses
Une expo et des pièces in situ rappellent le lien unique qui lie Richard Long à Bordeaux. Figure mythique du land art, Richard Long entretient une relation particulière avec Bordeaux. En 1981, le CAPC l’avait déjà invité à exposer dans sa nef et ses galeries. Les paysages de la ville, les méandres de la Garonne et de la Gironde lui ont inspiré des pièces majeures,
White Rock Line (1990) et la Ligne d’ardoise (1985), exposées sur la terrasse, et dont la rigueur dégage à chaque visite un sentiment renouvelé de sérénité. Il n’y a rien de plus beau, simple et sophistiqué que ces amas de pierres dont l’artiste anglais saisit la vibration poétique, en jouant sur les formes, les assemblages, les courbes, en inscrivant dans l’espace muséal des lignes pavées qui en déstabilisent l’ordre et en jouant sur les variations de lumière qui, selon l’heure, altèrent la couleur des pierres. Dans le cadre de la saison culturelle Paysages proposée par Bordeaux, le CAPC dévoile trois autres oeuvres sublimes de Richard Long qui, abritées dans des lieux patrimoniaux, déstabilisent les repères. A l’Hôtel de Ville, une sculpture en gneiss forme un cercle de pierres levées, subtil, chaleureux ; dans le magnifique hall du Grand Théâtre, une ligne d’ardoises,
Cornwall Slate Line (1981), s’étend sur plusieurs mètres ; mais c’est surtout dans l’espace Saint-Rémi, une ancienne église médiévale, que s’ajuste la plus spectaculaire de ses pièces, Stone Field (1989), composée de marbre blanc des Pyrénées concassé, disposé au sol selon un ordonnancement prédéterminé. Des lignes au courbes, des rectangles aux cercles, Long manipule les formes autant qu’il sublime les matières naturelles (cailloux, mousses, écorces) dans un geste subtil, au plus près des éléments terrestres, plongés dans l’ordre céleste.
Assumant un effet d’éparpillement, la collection d’agnès b. trouve son équilibre dans une puissante impression de liberté