L’âme d’un poète tourmenté
Après l’Angleterre de Shelley et l’Allemagne de Chamisso, CASANAVE ET VANDERMEULEN poursuivent leur tour d’Europe des auteurs romantiques avec Gérard de Nerval. Une nouvelle réussite, tout en finesse et mystères.
Un récit doucement fictionné et plein de fantaisie, imprégné de la vie et de l’oeuvre de Gérard de Nerval
PARMI LES NOMBREUSES BIOGRAPHIES D’ÉCRIVAINS
EN BD, beaucoup se contentent d’illustrer platement la vie des auteurs. Les récents Les
Apprentissages de Colette d’Annie Goetzinger (Dargaud) et Jacques
Prévert n’est pas un poète d’Hervé Bourhis et Christian Cailleaux (Dupuis) font exception et figurent parmi les plus réussies. Tout comme les fantastiques biographies de Daniel Casanave et David Vandermeulen. Depuis quelques années, le duo a pris le parti d’explorer un genre littéraire trop souvent confiné aux listes de textes pour l’oral du bac : le romantisme. Après Mary Shelley pour évoquer son incarnation anglaise et Chamisso pour l’allemande, c’est Gérard de Nerval (1808-1855) qui a été choisi pour représenter le romantisme à la française.
Parmi ses contemporains, Gérard de Nerval est certainement un de ceux qui se prêtait le mieux au travail du duo. Jeune homme talentueux (il effectua à 19 ans ce qui demeure encore aujourd’hui l’une des traductions de référence du Faust de Goethe, toujours éditée), joyeux drille aux amitiés célèbres (Théophile Gautier, Alexandre Dumas…), grand voyageur, Nerval avait aussi une face dramatique. Sa passion non partagée pour l’actrice Jenny Colon, son alcoolisme, sa folie, son suicide sont autant d’éléments aussi amèrement romantiques que ses oeuvres.
Daniel Casanave et David Vandermeulen appliquent ici la recette qui a fait ses preuves dans leurs deux précédentes biographies. Ils mêlent finement la vie et l’oeuvre de Gérard de Nerval dans un récit doucement fictionné, plein de fantaisie, loin de tout académisme – voir leur version de ses relations avec les femmes ou celle, savoureuse, de la préparation de la bataille d’Hernani en soutien à Victor Hugo.
S’appuyant autant sur la correspondance que sur les textes parfois sibyllins de l’écrivain, ils y ont cherché des indices, des clés, n’hésitant pas à s’engouffrer dans les interstices de la réalité pour y glisser des dialogues cocasses. Ils prennent certes des libertés, mais Nerval lui-même en prenait avec sa propre vie, se contredisant dans ses écrits, brouillant les pistes avec des oeuvres au parfum d’autobiographie ( Aurélia, Les Filles du feu…).
Même si les auteurs n’oublient pas de montrer à quel point il était incompris, mélancolique, sujet à de graves crises, leur traitement graphique, avec des couleurs pétulantes et un dessin clair et vif parfois proche de la caricature du XIXe siècle, combiné au rythme soutenu et à l’humour, rend le personnage sympathique. Ils révèlent son côté enjoué, parfois tristement comique. L’une des plus belles réussites de cet album est de dédramatiser une oeuvre perçue comme sombre et difficile et de donner profondément envie de la redécouvrir. Anne-Claire Norot Nerval l’inconsolé (Casterman), 168 pages, 22,50 €