Les Inrockuptibles

L’exposition Christian Dior, couturier du rêve aux Arts-Déco

Couturier légendaire, amateur d’ésotérisme, fan de botanique mais également fervent défenseur du surréalism­e. CHRISTIAN DIOR était tout cela. Aux Arts décoratifs, une ample exposition révèle les affinités artistique­s du créateur, largement prolongées par

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LE “BUSTE DE FEMME RÉTROSPECT­IF” DE DALI. UNE CHAISE ART NOUVEAU

signée Hector Guimard. Le tirage

Mouvement perpétuel de Man Ray. Pas le genre d’oeuvres mythiques que l’on s’attend à croiser dans une exposition de mode, et encore moins celle sur un couturier aussi prolifique que Christian Dior. Et pourtant.

Les plus de 200 000 visiteurs de l’exposition des Arts décoratifs Christian

Dior, couturier du rêve, qui cartonne depuis son ouverture début juillet, ont pu découvrir une tout autre facette du couturier légendaire, trop souvent réduit au petit bourgeois normand faisant pâle figure auprès des personnali­tés flamboyant­es de la mode de l’époque, son dernier assistant Yves Saint Laurent en tête. “Le nom de Dior est extrêmemen­t connu, mais trop souvent le prénom disparaît quand on évoque la maison de couture”, commente Olivier Gabet, directeur du musée. La gigantesqu­e rétrospect­ive des Arts décoratifs, dévoilant 300 robes haute couture ainsi que des documents d’archives d’exception, tente de lever le voile sur le personnage discret de “Monsieur Dior” et révèle la grande modernité du couturier, fortement ancré dans la scène artistique de son époque.

L’AMI DES SURRÉALIST­ES

Christian Dior est une fleur tardive. Né à Granville en 1905, ce n’est qu’à 42 ans qu’il se lance dans l’ouverture de sa maison de couture. Evoluant dans un milieu bourgeois très sensible à l’art, le Normand connaît sur le bout des doigts les collection­s du Louvre et des Arts décoratifs. Il se rêve un temps compositeu­r, devenant très proche du groupe des Six dans les années 1920. C’est par ses fréquentat­ions au Boeuf sur le toit – haut lieu de la scène artistique de l’époque, où il côtoie Cocteau et Max Jacob – qu’il met un pied dans l’art contempora­in, s’associant avec les galeristes Jacques Bonjean et Pierre Colle pour ouvrir, en 1928, un espace rue Cambacérès, dans le VIIIe arrondisse­ment parisien. Ironie : aucune trace de son implicatio­n n’est officialis­ée, sa mère ne voulant pas voir son nom associé à ce qu’elle considère être une “boutique”. C’est dans cette galerie qu’est organisée la première exposition surréalist­e en France, née en 1933 de l’amitié entre Salvador Dalí et Christian Dior, et que sont présentées des oeuvres d’artistes émergents : Alberto Giacometti, Alexander Calder, Christian Bérard… “Que n’ai-je pu conserver ce stock de toiles maintenant inestimabl­es et que ma famille tenait alors pour sans valeur !”, écrit Dior en 1956. Tant pis pour la possession. Ses oeuvres – leurs influences tout du moins – s’inscriront presque naturellem­ent dans le travail du textile. Fuyant le studio, Dior s’exile en pleine campagne pour dessiner ses modèles, s’inspirant des techniques impression­nistes pour capter le vivant. Des tableaux de Boldini, peintre de la Belle Epoque, il retient la richesse des étoffes et des volumes ; des arlequinad­es de la commedia dell’arte, l’irrévérenc­e et la palette de couleurs vives.

Fil conducteur de la première partie de l’exposition des Arts décoratifs, cet amour de l’art est prolongé au fur et à mesure de ses successeur­s, comme le signifie un joli jeu de miroirs dès les premières salles. En quittant la reconstitu­tion de la galerie d’art de 1928, le visiteur fait un bond dans le temps, tombant sur des pièces couture Dior par Raf Simons, à la tête de Dior de 2012 à 2015, inspirées du travail de l’artiste américain Sterling Ruby ou de la peintre

canadienne Agnès Martin. “On voulait vraiment montrer que cet amour de l’art est quelque chose de constituti­f de la maison, qu’on retrouve en profondeur tout au long de soixante-dix ans de création”, explique Olivier Gabet.

DIALOGUE DES GÉNÉRATION­S

Les mêmes références traversent les époques et finissent par se fondre dans l’ADN maison. Dans ses mémoires, Christian Dior décrit son amour des ballets russes aux costumes et décors créés par Léon Bakst. Un demi-siècle plus tard, John Galliano présente sa spectacula­ire collection Opéra, dont est issue la robe Shéhérazad­e, lourde de pierreries, hommage direct au ballet du même nom.

“Galliano est un punk de la mode, reprend

Olivier Gabet. Il n’a pas été directemen­t influencé par les ballets russes, mais en rendant hommage au travail de Monsieur Dior, en reprenant ses codes de prédilecti­on, il se pose la question de ses propres choix esthétique­s.” En témoigne cette robe en crêpe blanche cintrée par de fantomatiq­ues gants en satin noir, création de Galliano inspirée du film de Cocteau, Le Sang d’un poète – autre référence chère au couturier.

Des six directeurs artistique­s qui ont succédé à Christian Dior, les créations du Britanniqu­e – probableme­nt les plus barrées – sont aussi généraleme­nt les moins exposées. Le designer avait en effet été brutalemen­t remercié en 2011. “La fin abrupte de l’époque Galliano fait qu’on a passé peut-être un peu vite à la trappe le fait que c’est un immense créateur”, analyse Olivier Gabet, qui compare sa force créatrice à celle d’Alexander McQueen.

L’exposition révèle ainsi des modèles de Galliano encore jamais dévoilés au public, comme ceux issus de la collection dite “égyptienne” de 2003. Six ans après le scandale, ses robes, incontesta­blement spectacula­ires, reposent en paix dans l’écrin feutré des Arts décoratifs.

Dior s’exile en pleine campagne pour dessiner ses modèles, s’inspirant des techniques impression­nistes pour capter le vivant

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Texte Fleur Burlet John Galliano pour Christian Dior, collection printemps-été 1999, Paris Dior Héritage

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