Les Inrockuptibles

Ariel Pink, Angus et Julia Stone…

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Trois ans après le magnifique Pom Pom, Ariel Pink lui offre une suite guimauve et goudron baptisée Dedicated to Bobby Jameson. Rencontre avec un éternel allumé.

SES CHEVEUX SONT PASSÉS DU BLOND AU NOIR.

Du long au court. Ses joues se sont creusées. Sa chemise, sur laquelle se balade la famille Simpson, respire l’excentrici­té. Ariel Pink a 39 ans. Il pourrait en avoir dix de moins, ou de plus. Il ressemble à un trait d’union entre l’enfance et l’âge adulte. Ou à un fou. Ou à un génie. On ne sait pas très bien.

On le saura encore moins après les quarante-cinq minutes d’entretien qu’il nous accorde en dessinant un casque viking sur un bout de papier, l’intranquil­lité rivée à son corps suintant, accablé par la canicule ou l’anxiété. Ariel Pink est une énigme sur laquelle on bute depuis des années, cherchant désespérém­ent à obtenir le fin mot de l’histoire : Moqueur ? Provocateu­r ? Agitateur ? Punk ? Capricieux ? Aigri ?

Ariel Pink n’aime pas les interviews, ni la presse. C’est ce qu’il nous serine. “Ça me donne envie de me buter. C’est comme si j’étais en thérapie des jours durant, à écouter la même question, et à essayer d’y répondre différemme­nt.” Le plus étonnant n’étant pas cet accès de franchise mais le fait qu’il se révèle bavard, multiplian­t les digression­s comme s’il s’aventurait, armé d’une lampe torche, dans le labyrinthe fantasmati­que qui lui tient lieu de cerveau.

Labyrinthe aux murs tapissés de chewing-gums qui a donné naissance à son onzième album, le barré et génial

Dedicated to Bobby Jameson, prolongeme­nt de Pom Pom (2014). Un lieu de romances et de regrets, truffé de bruits, de dessins animés, d’écho spectral et de distorsion­s vocales où les squelettes sont en guimauve et où Ariel Pink joue le rôle du chat du Cheshire d’Alice au pays des merveilles, grimaçant, inquiétant. On lui épargne ces métaphores. Pas sûr qu’il les aimerait.

Ariel Pink, né Rosenberg, n’a pas l’air ceci dit d’aimer grand-chose. C’est la posture adoptée, en mode désillusio­n de préquarant­aine, postindust­rie musicale. “La musique est libre dorénavant, les gens ont parlé : ils ne veulent pas payer pour elle. On ne peut plus faire d’argent avec. On nous pousse à sortir du bâtiment dans le calme avant qu’il ne s’écroule. Il ne se reconstrui­ra que si Google devient un label et monétise ses contenus.”

Ariel Pink a peur. Il pense à l’avenir, il pense à l’argent.

Il semble

sincère. “Et si je me retrouvais dans la rue à 55 ans ? Je dois épargner. Je ne sais rien faire d’autre que la musique. C’est mon seul talent. Donc j’accepte tous les trois ans de raconter

ma vie à des journalist­es.” Et bim ! dans les dents. Derrière cette antipathie apparente pointe un questionne­ment pertinent : comment perdurer et survivre lorsque l’on ne s’appelle ni Drake ni Beyoncé ?

C’est un peu de ça dont parle son nouvel album, conçu comme son nom l’indique comme un hommage à Bobby Jameson, singer-songwriter de Los Angeles qui connut une brève heure de gloire dans les années 1960 avant de se faire piller par ses managers. Alcoolique, sans le sou, Bobby Jameson disparut de la circulatio­n. La résurrecti­on eut lieu en 2007 sous la forme de blogs autobiogra­phiques. Touché en plein coeur, Ariel Pink décida alors d’offrir une gloire posthume à ce loser magnifique que lui-même aurait certaineme­nt pu être. Qu’il est peut-être.

Depuis The Doldrums (2000), son premier album, Ariel Pink navigue entre le puits et la notoriété, agaçant certains, en faisant fantasmer d’autres, sans que l’on comprenne bien où le situer : du côté de Weyes Blood, avec laquelle il a sorti un ep ? Dans sa campagne Yves Saint Laurent de 2013 ? Dans une suite du château Marmont ? Dans cette tristesse qui voile ses yeux bleus ? Dans son art du trolling consommé ? Dans ces morceaux saupoudrée­s de MD ?

Ariel Pink n’a plus 20 ans. Il le sait : “Je manque d’assurance. Je sens mon haleine tout le temps désormais ! Quand j’étais jeune, j’étais heureux d’être une petite merde puante ! Plus je vieillis et plus je ressemble aux gens que je détestais au lycée.” Il n’écoute plus autant de musique, mais lit des livres d’astronomie. Il aimerait être normal, “devenir aussi invisible que possible”. Paradoxal. Sur AnotherWee­kend, Ariel Pink parle du temps qui passe, mais assure ne pas avoir peur de mourir, préférant développer une pensée performati­ve. “Nous pourrions être infinis, sans début ni fin. On choisit bien notre destinée, pourquoi ne pourrions-nous pas choisir la vie après la mort ? Peut-être que si tu ne crois pas en Dieu, c’est effectivem­ent ce qu’il va se passer ! Je ne sais pas pourquoi les gens pensent que c’est plus réaliste de penser qu’il n’y a rien après la mort. Le monde n’est qu’un grand fantasme en fait.” Et c’est bien ce qu’offre cet album idiosyncra­tique : la traversée d’un univers tordu par le rêve délirant et psychotrop­é d’un mec ultra-sensible. Carole Boinet

“Quand j’étais jeune, j’étais heureux d’être une petite merde puante ! Plus je vieillis et plus je ressemble aux gens que je détestais au lycée”

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Album Dedicated to Bobby Jameson (Mexican Summer/A+LSO)

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