Les Inrockuptibles

Good Time, Le Redoutable…

Un thriller urbain secouant et lyrique, porté par un Robert Pattinson éblouissan­t en voyou badass qui veut sauver son frère des geôles psychiatri­ques.

- de Josh et Benny Safdie Jacky Goldberg

C’EST UN GROS PLAN SI GROS QUE CHAQUE DÉTAIL DU VISAGE MONTRÉ,

chaque pore, chaque poil, chaque rougeur apparaît au spectateur comme un événement à contempler. Et, pourtant, ce visage qui ouvre Good Time, semble totalement éteint, le derme bouffi d’avoir trop reçu et si peu donné en retour.

L’inverse d’une belle peau parcheminé­e donc : plutôt un vieux bout de caoutchouc usé et lissé, presque identique à celui qui le recouvrira quelques minutes plus tard lors d’un braquage de banque (un moment mémorable, on n’en dit pas plus). Cette promiscuit­é qui nous est d’emblée imposée avec Nick Nikas – c’est le drôle de nom de ce personnage joué par Benny Safdie, qui coréalise également avec son frère Josh –, dès le second plan du film, en indique immédiatem­ent l’horizon : il s’agira de réveiller ce visage, coûte que coûte, et pour cela de lui écrire, enfin, une histoire au présent.

C’est précisémen­t ce à quoi va s’atteler l’autre personnage principal, Connie, interprété avec génie – il en a toujours eu, mais ça devient de plus en plus difficile de le nier – par Robert Pattinson. Lorsque celui-ci débarque dans le bureau du psychologu­e en train de sonder les (très faibles) capacités cognitives de son frère Nick, il le trouve en pleurs après avoir lâché quelques bribes sur son passé, laissant entrevoir l’enfer médicofami­lial dans lequel il a vécu les trente premières années de sa vie.

Après cette discussion en champcontr­echamp d’une intensité rare, l’apparition brutale de Pattinson lance véritablem­ent la fiction à un train d’enfer qui ne va plus s’arrêter. L’acteur est méconnaiss­able : le jeune homme

à la beauté irréelle des débuts a, ici, laissé place à un vagabond hirsute ne tenant pas en place, et dont les traits agités racontent l’exact inverse de ceux de son frère. Connie a beaucoup vécu, et pas toujours dans la légalité. Et sa seule motivation, durant cette folle journée que va détailler le film, sera de ramener son frère à la vie, fût-elle de débauche et de larcins.

Le Queens qui sert de décor n’est pas le Manhattan javellisé par Giuliani,

mais une terre encore sauvage, louche, qui permettrai­t presque de se croire dans un film d’Abel Ferrara circa 1984. Sous les néons rouges, verts et bleus qui éclairent chaque recoin de building (superbe photograph­ie de Sean Price Williams), au rythme des enveloppan­tes secousses électroniq­ues du compositeu­r Oneohtrix Point Never (à l’inspiratio­n très Tangerine Dream), Connie court. Il court en pure perte, se cogne, se déguise, braque une banque, ment (notamment à sa maîtresse, interprété­e par l’impeccable Jennifer Jason Leigh), s’embrouille avec des dealers ou un gardien de parc d’attraction­s – métaphore du monde safdien ?

Tout ceci paraît arbitraire, improvisé, mais procède en réalité d’une grande précision d’écriture et de mise en scène, permettant l’éclosion d’un drôle d’actionner, bizarre, indécidabl­e, mihaletant mi-burlesque. Les gros plans, nombreux, n’y sont jamais une facilité stylistiqu­e, mais participen­t quant à eux d’une poétique des visages très élaborée. Les visages sont cassés, malmenés, masqués, inquiets, confondus (grand gag), et l’on ne peut jamais savoir avec certitude, du premier au dernier plan (illuminé par la voix déchirante d’Iggy Pop) ce qu’ils expriment. Ils sont simplement là, disponible­s à la fiction, dans un présent perpétuel, addicts à l’extase, ne demandant qu’à passer du bon temps avant de devoir s’éteindre à leur tour.

Ce principe confère une aura d’urgence à tout ce qui passe devant la caméra des frangins, qui ne sont jamais meilleurs que dans la captation de la panique et de ses conséquenc­es. Good Time est ainsi le récit magnifique d’un sauvetage et d’une dérive, ce qui va toujours de pair pour les réalisateu­rs de Lenny and

the Kids et Mad Love in New York. Chez les Safdie, l’amour (a fortiori fraternel) est un absolu, mais il ne s’embarrasse d’aucun principe moral. Il est vital, mais également malade et dangereux. Il permet d’avancer, mais peut vous engloutir à chaque seconde.

L’apparition brutale de Robert Pattinson lance la fiction à un train d’enfer qui ne va plus s’arrêter

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