Les Inrockuptibles

Pinocchio, Così fan tutte

De Pinocchio, sa pièce de théâtre, JOËL POMMERAT livre un opéra, mis en musique par Philippe Boesmans. Deux versions remarquabl­es aujourd’hui reprises.

- Patrick Sourd

TOUT DÉBUTE PAR UN COUP DE FOUDRE. C’est du tronc d’un arbre brisé par la boule de feu d’un éclair que naît le personnage de Pinocchio. Sculpté par un vieil homme solitaire, le pantin imaginé par Carlo Collodi commence sa carrière en Italie sous la forme d’un feuilleton publié en vingt-six épisodes dans le supplément pour les enfants du quotidien romain Il Fanfulla en 1881. Désireux de constituer un minirépert­oire de pièces renouvelan­t le regard que nous portons sur l’imaginaire des contes, Joël Pommerat inscrit sa relecture de

Pinocchio (2008) au centre d’un triptyque réunissant Le Petit Chaperon rouge en 2004 et Cendrillon en 2011.

Hommage à la figure de l’antihéros, le Pinocchio de Pommerat a la langue bien pendue d’un gosse d’aujourd’hui qui ne mâche pas ses mots. Alors qu’il n’est encore qu’une bûche sans bouche, il ne cesse déjà d’interpelle­r son créateur pour lui reprocher le trash d’une naissance passant par une séance de découpe à la tronçonneu­se.

Tirant son inspiratio­n du monde du cirque, Joël Pommerat délègue le récit de ses tribulatio­ns à un Monsieur Loyal qui prend date des progrès accomplis par Pinocchio dans la conquête de sa propre humanité. Ce qui motive le petit démon n’a rien de glorieux. Horrifié d’apprendre que son géniteur est vieux et désargenté, notre drôle de rebelle tente d’abord de faire fortune. On retrouve alors, dans une savante déconstruc­tion, les scènes du rituel de son initiation imaginée par Collodi. Berné par des escrocs, pendu à un arbre jusqu’à ce que mort s’ensuive, Pinocchio ne ressuscite que pour être transformé en âne avant d’échapper au triste sort de finir en peau de tambour.

Joël Pommerat se joue de la pénombre pour mieux mettre en lumière quelques images inoubliabl­es ; celle d’une fabuleuse

rencontre avec la fée, de ses retrouvail­les avec son père dans le ventre d’un monstre marin et de l’incontourn­able embarras d’un nez pouvant prendre des proportion­s incontrôla­bles.

Depuis 2008, date de sa création au Théâtre de l’Odéon, la pièce à succès ne cesse de tourner. Avec le nouvel épisode – transforme­r son texte en un livret d’opéra –, Joël Pommerat reste fidèle à sa mise en scène tout en offrant une nouvelle vie à son petit protégé.

Créée pour l’ouverture du festival d’Aix-en-Provence en juillet, l’histoire du pantin a été confiée à l’inventivit­é musicale sans pareille du compositeu­r Philippe Boesmans. Un tapis rouge pour une entrée remarquée dans le cercle fermé des personnage­s honorés par l’art lyrique contempora­in. En cette rentrée, deux reprises quasi simultanée­s nous donnent l’occasion de découvrir l’opéra à la Monnaie, à Bruxelles, et la pièce à la MC93, à Bobigny.

Opéra Pinocchio d’après Carlo Collodi, compositio­n Philippe Boesmans, livret et mise en scène Joël Pommerat, direction musicale Patrick Davin, jusqu’au 16 septembre, la Monnaie (Bruxelles)

Théâtre Pinocchio d’après Carlo Collodi, texte et mise en scène Joël Pommerat, du 13 au 17 septembre, MC93 (Bobigny)

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Pinocchio version théâtre à la MC93 (Bobigny)

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