Les Inrockuptibles

Engrenages, Kim Kong

La meilleure des séries policières françaises, ENGRENAGES, confirme son statut particulie­r en mettant l’accent, dans cette sixième saison, sur les trajectoir­es intimes de ses héroïnes.

- Olivier Joyard

Le combat des femmes pour leur capacité d’agir et le respect de leurs choix infuse chaque épisode

DANS LE COURANT DE LA PREMIÈRE SAISON D’“ENGRENAGES” diffusée au milieu des années 2000, la fougueuse et émouvante capitaine de police Laure Berthaud (Caroline Proust), notre personnage préféré, se trouvait inexplicab­lement placardisé­e de la fiction. Centrale au début de l’histoire, elle devenait une figure comme une autre, attisant nos regrets de ne pas la voir se battre et tout renverser sur son passage.

Ce n’est qu’avec l’arrivée de la scénariste Virginie Brac pour la deuxième saison, puis la reprise en main par Anne Landois (toujours aux commandes aujourd’hui) qu’Engrenages a entamé sa mue, admettant que sa force romanesque et animale passait d’abord par la capitaine. Aujourd’hui, Laure Berthaud, mais aussi la dure et mélancoliq­ue avocate Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) font le sel de la meilleure série policière française.

Grâce à ces deux femmes si différente­s et souvent en conflit, on peut voir cette nouvelle saison, la sixième en douze ans, dans un contexte général de représenta­tion audacieuse du féminin. Ces derniers mois, Big Little Lies, I Love Dick et The Handmaid’s Tale, pour ne citer que les plus évidentes, ont attiré l’attention sur des trajectoir­es intimes courageuse­s, politiques et parfois violentes. Quand Laure Berthaud tourne en rond dans les premières scènes à l’hôpital où se trouve son bébé prématuré qui nécessite des soins intensifs ; quand une partie de l’intrigue principale met en jeu des jeunes femmes dont le corps est maltraité et utilisé ; quand, enfin, Joséphine vit une épreuve qui la dépossède de sa confiance et de sa liberté, il devient clair

que le combat des femmes pour leur capacité d’agir et le respect de leurs choix infuse chaque épisode. Cela se confirme assez magistrale­ment tout au long de la saison, jusqu’à une dernière scène marquante, jamais vue dans une série d’ici ou d’ailleurs.

Au sein d’un genre aussi “couillu” que le polar, ce n’est pas anodin, même si Engrenages ne sera jamais une série de revendicat­ion féministe militante. Elle est néanmoins parvenue à autre chose d’aussi fort : faire que les personnage­s masculins (notamment le Droopy attachant Gilou, et son collègue Fromentin, en pleine crise morale dans cette saison) laissent leurs tentations de flics masculinis­tes au placard, pour explorer d’autres contrées moins stéréotypé­es. Les mecs sont de plus en plus définis par contraste avec leurs pendants féminins, comme des satellites. Même le génial juge Roban, en proie désormais à la maladie, voit son statut d’homme de pouvoir et d’autorité s’effriter.

Cette nouvelle saison impression­ne comme toujours par sa mécanique,

cette manière de faire avancer la fiction par petits cliquetis qui donne son titre à la série. Pourtant, l’autre thème central, qui a trait aux rapports des quartiers à la police et à la crise de l’institutio­n, s’avère par moments moins limpide et tranchant. Alors que l’affaire Théo et quelques autres ont secoué l’imaginaire collectif, Engrenages ne détourne pas les yeux, évoquant même frontaleme­nt la corruption et la violence des uniformes. Mais elle conserve le désir profond de filmer du côté du pouvoir.

En milieu de saison, une interventi­on dans un camp rom, pendant laquelle des manifestan­ts appartenan­t à la gauche radicale sont présentés comme des ahuris, montre que la série ne parvient pas à sortir de cette ornière. On aimerait parfois qu’Engrenages profite de sa position proéminent­e dans le PAF – une septième saison est déjà en écriture – pour se mettre en danger. Elle pourrait, toutes proportion­s gardées, devenir le The Wire français, en présentant tous les points de vue à égalité, ceux des flics, des voyous, des innocents et des coupables. Elle reste malgré ses manques un phare dans la nuit de la fiction hexagonale.

Engrenages A partir du 18 septembre, 20 h 50, Canal+

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Caroline Proust

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