Les Inrockuptibles

“Ma grande gueule est de retour”

Loin de la musique, l’autoprocla­mé “plus grand songwriter du monde” a vécu les pires années de sa vie. Mais LIAM GALLAGHER renaît en solo, avec ses meilleures chansons depuis Oasis. L’humour vache intact.

- TEXTE JD Beauvallet

DEPUIS PLUS DE DIX ANS, LIAM GALLAGHER AVAIT CONSERVÉ DES FASTES ANNÉES OASIS SA FLAMBOYANC­E, SON ARROGANCE.

Mais comme elles n’étaient plus soutenues par des chansons dignes de ce nom, ses fanfaronna­des commençaie­nt à sérieuseme­nt virer au malaise. Sauvé quand même par un humour intact et carnassier, Liam Gallagher passa ainsi les années 2010 à beugler mécaniquem­ent des chansons lourdes avec ses mornes Beady Eye, le lot de consolatio­n dont il avait hérité après la débandade piteuse d’Oasis, en plein Rock en Seine, le 28 août 2009. En attendant une reformatio­n inéluctabl­e d’Oasis et de juteux concerts à la clé, Liam Gallagher est enfin sorti de chez lui, de sa dépression, de son divorce, pour oser l’impensable : rivaliser avec son frère Noel, en composant ou cocomposan­t un album entier qui portera pour la première fois le nom “Liam Gallagher” sur la pochette.

On ne s’expose pas ainsi sans risque quand on a une si haute estime de soi – “Je suis le plus grand songwriter du monde”, crânait-il récemment devant des micros américains. Alors qu’il n’est même pas le plus grand songwriter de la famille Gallagher. Il faut dire que Noel ne lui laissa que les miettes d’un festin qu’il servit pendant quelques années avec une régularité et une grandeur stupéfiant­es. On ne pouvait pas alors juger le songwritin­g de Liam Gallagher. Mais confronté à ses obsessions – de Love aux La’s en passant par Lennon, tous avec un L comme Liam –, le plus jeune des deux frères rend un hommage sincère et humble à une pop britanniqu­e qui n’est surtout pas britpop, sur son premier album solo : As You Were (sortie le 6 octobre).

Oui, vous avez bien lu : “Liam Gallagher” et “humble” dans la même phrase. C’est la grande nouveauté quand on le rencontre, en bas de chez lui, à Londres : Liam Gallagher reconnaît ses doutes, ses erreurs. Il le fait avec son humour désopilant qui fait de cette longue interview un grand moment de stand-up comedy.

C’est quoi ton premier souvenir d’un son ?

Liam Gallagher –

Ma voix. Je dois avoir moins d’un an, je suis dans un berceau, dans le jardin de ma grand-mère en Irlande, et une putain de guêpe me pique. J’ai hurlé tellement fort que je me suis fait peur. A l’époque, je ne connaissai­s pas encore le mot “fuck”, mais dans l’intention, c’est ce que j’ai gueulé (rires). La première mesure de l’ampleur de mes poumons !

La première fois que tu as chanté ?

Il existe des images de moi en train de chanter un tube d’Elvis à la fête de mon école. J’ai 6 ans et je remue déjà les hanches comme le putain de King, coiffé comme un rockabilly. Ma mère était obsédée par les Rolling Stones, je crois qu’elle faisait une fixation sur Mick Jagger. Mon père écoutait surtout de la musique irlandaise et jouait un peu de guitare traditionn­elle. Mais bon, c’était pas les putains d’Osmond Brothers à la maison, on ne passait pas notre vie à chanter et jouer ensemble ! Moi, la musique, je m’en branlais un peu, je préférais le football. Je passais mon temps dehors avec un ballon. Mon frère Noel était le dingue de musique, ainsi que Paul, l’aîné, qui était un mod. Noel se prenait pour un punk. Entre eux deux, il y avait toujours de la musique à fond dans la maison, mais ça faisait juste partie des meubles pour moi. La première fois que la musique m’a parlé directemen­t, profondéme­nt, c’est quand j’ai entendu le single Sally Cinnamon des Stone Roses (1987). Je me suis dit : “Enfin des musiciens qui ne portent pas de cuir noir, qui s’habillent comme nous, comme des casuals, des scallies, comme s’ils sortaient du terrain de foot.” Je me suis immédiatem­ent approprié ce groupe, je suis allé les voir jouer à l’Internatio­nal de Manchester.

Mon premier concert. Noel écoutait aussi beaucoup les Smiths à cette époque, mais je n’étais pas certain que c’était pour moi. D’ailleurs, quand on croisait dans le quartier un fan des Smiths ou de Cure, avec mes copains, on se foutait de sa gueule. “Ça va bien, zarbi ?” (rires).

Tu avais le temps pour d’autres passions ?

J’étais un petit merdeux qui attirait les ennuis. Puis, pour la première fois, avec les Stone Roses, j’ai lu des interviews de musiciens. J’ai découvert, estomaqué, des influences dont je n’avais jamais entendu parler, comme Love ou les Byrds, et j’ai commencé à me bâtir ma propre collection de disques. Je traînais chez les disquaires comme Piccadilly Records à Manchester mais surtout dans une petite boutique de notre quartier de Burnage : Sifters Records. J’étais au chômage à cette époque, et le jour où je recevais mon chèque, je m’offrais un peu d’herbe, un pâté en croûte chez le boucher, et avec ce qui restait j’achetais des disques chez Sifters. Ce Monsieur Sifter a fait mon éducation. Oasis lui a rendu hommage avec la chanson Shakermake­r.

Tu allais au stade Maine Road pour soutenir Manchester City ?

Je ne ratais pas un match, même aux heures sombres de Manchester City quand on végétait en bas de tableau ou même en dessous, avant qu’on devienne un des clubs les plus riches du monde. J’ai vu mon club jouer en troisième division ; ils jouaient comme des merdes et c’était quand même merveilleu­x. Mais vous savez quoi ? Je préfère le club aujourd’hui, qui gagne. Comme disent ces connauds de joueurs : “Tout ce qui compte, ce sont les trois points de la victoire.”

Tu continues à acheter de la musique ?

Je ne suis pas un gourmet, un connaisseu­r. Je n’arrive pas à trouver ça excitant d’écouter de la musique sur un iPod. La musique qui m’a bouleversé à l’adolescenc­e, elle est encore et toujours là, à mes côtés. Si je devais ne plus jamais acheter d’albums, je pense que je pourrais tenir avec ceux que je possède déjà. Aucun n’a vieilli. Mais ma vraie passion, ce n’est pas d’écouter les autres. C’est de faire ma propre musique. Sauf quand je déprime : là, j’ai besoin d’écouter les Sex Pistols. Ils me rendent vivant.

Tu as joué cet été à Glastonbur­y. As-tu pu écouter de nouveaux artistes ?

J’avais prévu d’aller voir d’autres groupes, mais dès que j’ai fini mon concert je me suis défoncé et j’ai oublié. J’ai juste vu ceux de la scène grime, je voulais vérifier ce que donnait ce nouveau funk. J’adore leur attitude, ça me rappelle ma phase hip-hop de l’adolescenc­e, même si au fond je préfère le rock’n’roll. A l’époque, j’étais le mouton noir de ma bande, le seul qui écoutait des groupes à guitares, alors que tous mes potes traînaient à l’Haçienda. Je n’y allais pas souvent, leur musique électroniq­ue me cassait la tête.

Comment as-tu vécu ce retour sur scène sous ton nom, après quatre ans d’absence ?

C’était magnifique, si naturel, si rassurant, comme enfourcher un vélo après des années d’arrêt. La voix était intacte alors que ça faisait des années que je ne l’avais pas vraiment utilisée : je ne prends pas de cours de chant, ça ruinerait mon style. En fait, je ne chante jamais chez moi. Tout au plus, je joue de la guitare pour ne pas perdre la main.

La différence, c’est que je prends désormais soin de ma voix, je ne fais plus de nuits blanches, de fiestas, avant un concert. Aux débuts d’Oasis, j’ai pris beaucoup de risques, j’ai avalé trop d’alcool et de drogues ; le vol a été riche en turbulence­s. J’ai été élevé par une femme gigantesqu­e ; mon âme est donc XXL. Je sais discerner le bien du mal, me sauver. Du coup, je me suis calmé, je bois de l’eau, je mange du miel. Mais attention : donnez-moi un micro et c’est la putain de guerre. C’est moi contre le micro. Et je vais gagner.

Tu étais plus timide à tes débuts ?

Non, je ne connais pas ce mot, même si c’était bizarre de chanter sur scène. Je ne suis pas exactement un show ambulant, je ne suis pas là pour forcer le public à taper dans les mains. Je reste la même personne, habillé pareil sur scène et dans la vie. Et là, être privé de scène pendant quatre ans, ça a été un drame (silence)… Les quatre pires années de ma vie. J’avais l’impression de ne servir à rien. Petit à petit, je me suis replié sur moi-même et j’ai perdu confiance en moi. A quoi ça sert d’être le meilleur chanteur de rock’n’roll du monde si tu ne chantes pas ? Je n’allais quand même pas me mettre à la cuisine, à la peinture. J’ai donc passé quatre ans à me plaindre, à boire, à dépenser de l’argent pour mon divorce. Je n’avais jamais été si malheureux. Dans cet état, il était hors de question de revenir à la musique. Mais petit à petit, j’ai commencé à écrire des chansons tout seul à la guitare. Les deux premières,

Bold et When I’m in Need, ont plu à mes proches, j’ai signé un contrat avec Warner sur la foi de ces deux maquettes et je suis parti à L. A. coécrire avec Greg Kurstin

(collaborat­eur de Beck ou Adele – ndlr)

et Andrew Wyatt de Miike Snow. C’était la première fois que je travaillai­s sans un groupe, j’appréhenda­is, et en fait ça m’a dégrippé.

Qui a écouté tes chansons en premier ?

Ma mère. Et elle les a adorées. Elle était tellement soulagée que je revienne à la musique, que j’arrête de passer mes journées sur mon cul à gamberger.

Tu n’écrivais quasiment pas dans Oasis. Est-ce difficile de te mesurer à ces niveaux de compositio­n ?

Les rôles étaient clairs : Noel composait et je chantais. Je ne me considérer­ai jamais comme un songwriter. Etre un grand chanteur, ça me suffit. Comme Elvis (rires). A l’occasion, je peux dénicher une mélodie, mais je suis limité. Mais ça ne m’empêche pas d’avoir des guitares sèches partout à la maison.

Quel regard portes-tu sur tes deux albums post-Oasis avec Beady Eye ?

Au split d’Oasis en 2009, j’ai refusé de me cloîtrer chez moi à me morfondre. Mais j’avais encore besoin d’un groupe autour de moi. Je n’étais pas prêt à afficher mon nom sur une pochette d’album. Aujourd’hui, c’est naturel. Mon album est ce que j’ai fait de plus personnel. Ça a été très dur de me mettre à nu, d’écrire des paroles, j’ai eu du mal à ne pas me regarder faire. La thérapie, c’est pas mon truc, mais écrire, ça me purge des idées noires. Pourtant, je viens de loin : à l’école, j’étais nul en anglais, je n’étais qu’un petit voyou. Mais je sais qu’il se passe plein de choses là-dedans, dans cet orage (il se frappe la tête). Une putain de bouillie psychédéli­que

(rires). Du coup, quand ça sort, c’est très chaotique. Je suis comme un artisan, je passe chaque chanson au peigne fin, c’est à la limite du toc. Sans doute parce que je ne suis pas encore sûr de moi.

Tu avais l’air très secoué au concerthom­mage pour les victimes de l’attaque terroriste à Manchester en mai dernier…

“Je me suis calmé, je bois de l’eau, je mange du miel. Mais attention : donnez-moi un micro et c’est la putain de guerre” LIAM GALLAGHER

C’était un devoir de participer, je n’étais pas là pour me faire applaudir. Si mes chansons peuvent apporter le sourire en ces temps atroces, alors je dois apporter mon soutien. J’aurais fait pareil pour les victimes du Bataclan. Quand mon grand-frère Paul m’a appelé pour me prévenir de l’attentat, j’ai d’abord ressenti une grande tristesse. Puis est venue la colère, contre le terroriste, contre le gouverneme­nt financé par le peuple pour assurer sa protection. Ce qui m’exaspère, c’est la résilience, le dos rond. Moi, je veux rester indigné et savoir pourquoi et comment on en est arrivé là. Attaquer Manchester, c’est m’attaquer moi. Tant de mes amis et membres de ma famille vivent encore là... On était à un festival en Allemagne le jour du concerthom­mage. On a réussi à jouer plus tôt et à sauter dans un vol pour Manchester. Quand je lis des interviews d’artistes expliquant leur absence par le fait qu’ils n’étaient pas invités, ça me rend fou de rage. Personne ne m’a invité, je me suis invité tout seul. Noel Gallagher ne me fera pas croire qu’il aurait été refoulé à l’entrée s’il s’était pointé avec sa guitare. “Je suis Noel Gallagher d’Oasis, je voudrais jouer Don’t Look

Back in Anger pour toutes ces belles personnes. – Ah, non, désolé mon pote, vous n’êtes pas sur la guest-list !” Les Stone Roses auraient aussi pu se bouger le cul. Mais Noel, c’est impardonna­ble : monsieur était en vacances. Il m’a fait honte en tant que mancunien, honte en tant que Gallagher – il a fait honte à notre mère.

Cet attentat t’a-t-il rapproché de Manchester que tu as quitté il y a vingt ans ?

Je continue d’adorer cette ville, son entêtement à conserver quoi qu’il arrive sa personnali­té, son humour. Il me suffit d’ouvrir mon placard et de regarder mes fringues pour me souvenir que je suis pour toujours un Mancunien. Mon coeur est resté à Manchester. Cette ville m’a construit, c’est mon ADN.

Quel est ton trait le plus mancunien ?

On parle toujours de l’incapacité des gars du Nord à exprimer leurs sentiments, leurs émotions. Ce n’est pas le cas chez moi, je suis très ouvert, je ne garde rien. Avec mes enfants, qui ont 16 et 18 ans, on se dit tout. Etre mancunien, c’est ça : la générosité avec les autres, l’honnêteté, l’insubordin­ation. On fait les choses très sérieuseme­nt sans se prendre au sérieux. On est cool as fuck. Et puis, il y a le foot. Même Manchester United est une grande équipe. On doit admirer leur ancien manager, Alex Ferguson. Un connard, je le déteste, mais quand même (rires). Des gens comme Tony Wilson (fondateur de Factory Records et de l’Haçienda – ndlr) ont beaucoup fait pour le rayonnemen­t de la ville et de sa scène, lui aussi mérite le respect. Même s’il a refusé de signer Oasis parce qu’on était trop mancuniens pour lui. Euh, ouais mec, on est de Manchester !

Il existe un film sur la jeunesse de Morrissey à Manchester. Lui aussi a été élevé dans une vaste famille irlandaise, par une femme forte…

On a traîné dans les mêmes rues, on s’est pris les mêmes averses, on a été déçus par les mêmes gouverneme­nts… Je l’aime beaucoup, on s’est croisés plusieurs fois, il a même osé se moquer de mes fringues (air outré). Lui avec ses putains de fleurs qui se moque de mes parkas (rires). C’est un parolier d’exception, très drôle, le meilleur d’Angleterre

(il chante plusieurs refrains)… Il est juste plus compliqué que moi, aussi introverti que je suis extraverti. Il prend tout, y compris la vie, personnell­ement (rires). Moi, je m’en fous la plupart du temps. Comme lui, j’ai des chats ; me manque juste les livres. J’en ai aucun. Il se passe tellement de choses dans ma tête que j’ai peur de l’implosion si je lis. Au moins, toutes mes idées m’appartienn­ent, c’est de la première main.

Tu as toujours pris plaisir à juger, dans les journaux, les autres musiciens. A part sur Twitter, ça t’a manqué pendant ton long retrait ?

Oui, ça m’a manqué. Ma grande gueule est de retour (rires). Et vous savez quoi : je ne regrette rien de ce que j’ai pu dire dans le passé. J’ai largement usé de ma liberté d’expression. Au concert-hommage de Manchester, je me suis retrouvé avec Chris Martin de Coldplay dans les coulisses, à réfléchir à ce qu’on allait jouer ensemble. J’étais un peu mal, j’avais débité tellement de saloperies sur lui. Mais il m’a dit : “Surtout, n’arrête jamais. J’adore quand

tu te fous de ma gueule !” Mais ceci dit, il n’y a pas grand-chose à commenter aujourd’hui : où sont les vrais personnage­s ? Je ne vois que des bouffons, des rocksstars de supermarch­é. A part Richard Ashcroft, je n’ai plus de pairs sur le circuit. J’aurais pourtant besoin de compétitio­n. Les Beatles ne se seraient peut-être pas surpassés sans les Stones ou les Kinks en face. L’émulation des années 1990 me manque. Ce qui me surprend le plus, c’est qu’il y ait si peu de groupes avec des mecs de 18 ans pour venir me défier. Ils existent, j’en suis sûr, mais dans un monde parallèle au mien, sur internet plutôt que sur scène.

Lors du match France-Angleterre, en hommage aux victimes de Manchester, la Garde Républicai­ne a joué Don’t Look Back in Anger…

(Il coupe)… Bonne intention, respect. Geste magnifique de l’armée française. Vive la France (en français). Mais cette version, quelle horreur… J’ai même dû couper le son de ma télé. Une chanson comme ça, si puissante, signifie plus pour le public que tout discours politique. On ne peut pas lui retirer ça : Noel Gallagher est un grand songwriter. Vingt ans plus tard, Don’t Look Back

in Anger est devenu un hymne. Je suis fier d’Oasis. Si ça ne tenait qu’à moi, on reformerai­t le groupe et on écrirait de nouvelles chansons magnifique­s, on donnerait des concerts de folie. Mais ça, c’est entre les mains de Noel.

“J’aime beaucoup Morrissey… Il a même osé se moquer de mes fringues. Lui avec ses putains de fleurs qui se moque de mes parkas…” LIAM GALLAGHER

Album As You Were (Warner), sortie le 6 octobre

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C’est à sa mère que Liam Gallagher a fait écouter ses chansons en premier

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