Les Inrockuptibles

Nos années folles d’ANDRÉ TÉCHINÉ, un film brûlant et nécessaire

Inspiré de la vie de Paul Grappe, qui au début du XXe siècle se fit femme, un film douloureux et brûlant.

- Jacky Goldberg d’André Téchiné

POUR ÉCHAPPER À LA GUERRE, UN HOMME SE DÉGUISE EN FEMME.

Puis, pour échapper à lui-même, devient femme. Jusqu’à ce que son corps, le regard de la société et celui de son épouse le rappellent à sa condition – insoutenab­le. Voici résumée la trajectoir­e de Paul Grappe, né en 1891, soldat tire au flanc en 1914, déserteur en 1915, fugitif, travesti puis prostitué jusqu’a son amnistie en 1925 et, enfin, mime de sa propre histoire au cabaret, jusqu’à sa mort tragique en 1928.

C’est de la reconstitu­tion théâtrale d’une vie par celui qui l’a vécue (avec l’excellent Michel Fau en Monsieur Loyal) que part Téchiné, qui ne pouvait qu’être fasciné par ce destin oublié, détaillé dans un livre de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, La Garçonne et l’Assassin, dont il s’est inspiré. Le récit en flash-backs dialogue avec Lola Montès de Max Ophuls, qui fait se retourner un personnage sur son existence déchue sur une scène de cabaret, dans un geste spéculaire tour à tour enjoué et morbide.

Nos années folles, titre magnifique, désigne par son jeu de mots l’horizon du film : c’est parce qu’il s’est fait “folle” que Grappe vit de folles années ; mais il ne les vit pas seul, et c’est toute la force du cinéaste que de rendre palpable la complicité au sein du couple échevelé. Pierre Deladoncha­mps et Céline Sallette ne sont pas étrangers à cette réussite. Le premier, qui trouve ici son premier grand rôle depuis L’Inconnu du lac, figure une forme de naïveté romantique, à la fois exalté par son émancipati­on et incapable d’en assumer les conséquenc­es. La seconde compose un émouvant personnage renoirien, avec sa diction si particuliè­re et sa beauté fauve.

N’ayant pas son pareil pour faire flamboyer l’intime

(les scènes d’amour sont particuliè­rement réussies), le cinéaste concentre son attention sur la mécanique du désir, et son dérèglemen­t à mesure que l’homme explore les marges, tandis que la femme assume les responsabi­lités du foyer. La libération sexuelle et identitair­e provoquée par “l’affolement” de Paul (pour paraphrase­r Louis Skorecki à propos de John Wayne dans Rio Bravo) résonne chez Louise. L’ennemi, c’est l’assignatio­n : dès que les choses sont établies, nommées, re-présentées, et non plus vécues dans l’innocence, c’est foutu. Et comme toujours chez Téchiné, écrire son récit est une nécessité vitale, mais aussi une douloureus­e brûlure.

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