Les Inrockuptibles

Le Redoutable

Raccord avec son époque, le boss du pastiche à la française décide de se farcir Godard. Inutile.

- Théo Ribeton de Michel Hazanavici­us

ON AURAIT DÛ LE VOIR VENIR.

Il y a trois ans, pour la promotion de

Saint Laurent, Louis Garrel s’était fendu sur France Inter d’une imitation surprise de Godard. La séquence tourna pas mal sur les réseaux sociaux. Or qui, de tous les auditeurs atteints par cette vanne digne d’une partie de Time’s up (“faites deviner Godard en l’imitant mais sans donner d’indice”) mais peut-être pas d’un rôle de cinéma, risquait de se dire qu’il y avait là matière à un biopic ? Le roi du pastiche et de la parodie : Michel “The Artist” Hazanavici­us. Le Redoutable ressemble à ça : à une plaisanter­ie qui est allée trop loin. Car sans intenter à Michel un procès de lèse-majesté (on est libre d’abîmer la figure sanctifiée de Godard, le contraire ne serait pas très godardien), on ne voit pas bien ce qu’il est allé faire dans cette galère. Nous sommes en 1968 et le réalisateu­r d’A bout de souffle voudrait cesser de l’être : il entame, avec Jean-Pierre Gorin, son virage maoïste et déçoit, presque à dessein, une cinéphilie par trop attachée à son statut de chef de file de la Nouvelle Vague ou, pour le dire plus crûment, d’icône pop sixties. C’est là qu’Hazanavici­us lui donne rendezvous, pour un film qui ressemble moins à la biographie de Godard qu’à son procès.

Pour l’instruire, Michel martèle : les gimmicks, citant les motifs du réalisateu­r (on pleure au ciné comme dans Vivre sa

vie, on panote sur une odalisque comme dans Le Mépris, bravo, 20/20), et surtout les chefs d’accusation. Voilà donc le cinéaste aux lunettes à verres fumés (que le film brise à quelques reprises dans un étrange running gag de caïd de cour de récré) mis manu militari face à ses paradoxes : alors Godard, on prend le parti du peuple mais dès qu’un péquin moins instruit vous alpague, on fait la moue ? On tient la liberté pour la plus élevée des valeurs, mais on fait de son épouse une captive ?

Ce n’est pas tant l’intention qui pose problème qu’une façon de la dissimuler : sous l’hommage “canalpluss­esque” se cache une envie malsaine de se farcir Godard, raccord avec une certaine tendance de la télévision à casser, dès que possible, du sucre sur le dos de la Nouvelle Vague. Soyons honnêtes : ériger à JLG une statue en bonne et due forme eût été une idée pire encore que cette espèce de tribute passif-agressif. Il valait mieux le laisser tranquille.

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