Les Inrockuptibles

La comédie du débarqueme­nt

Des dialogues pince-sans-rire au graphisme très 1940-50, JEAN HARAMBAT parvient à recréer avec minutie une rocamboles­que histoire vraie. Opération réussie.

- Anne-Claire Norot

EN 1943, DUDLEY CLARKE, CHARGÉ DE LA DÉSINFORMA­TION au sein de l’armée britanniqu­e, imagine une opération de diversion pour cacher l’imminence du débarqueme­nt. Pour tromper des Allemands certains que le général Montgomery prépare l’offensive alliée, Clarke a l’idée de leur donner à voir un sosie en Afrique du Nord. David Niven qui travaille avec Peter Ustinov dans une unité cinématogr­aphique de l’armée, doit convaincre un acteur de tenir ce rôle.

A partir de cette rocamboles­que histoire vraie, Jean Harambat a imaginé une comédie d’aventures au peps et à l’humour irrésistib­les. Dans sa version des faits, tandis que Peter Ustinov et David Niven cornaquent l’acteur sélectionn­é pour interpréte­r Montgomery – un comédien de seconde zone porté sur la boisson –, l’amour plane et de mystérieux espions à la solde du Reich rôdent… Après le roman historique, l’adaptation littéraire ou l’autobiogra­phie, Jean Harambat change une nouvelle fois totalement de registre et, après sa lumineuse relecture de l’Odyssée ( Ulysse – Les chants du retour, 2014), il stupéfie par l’aisance avec laquelle il y parvient. C’est la lecture des mémoires de David Niven, Décrocher la lune, “un petit chef-d’oeuvre d’understate­ment britanniqu­e dans lequel il raconte sa vie de militaire”, qui a donné à Jean Harambat l’idée d’Opération Copperhead. Récit autour du cinéma et du jeu d’acteur, la BD est éminemment cinématogr­aphique, de sa couverture, ressemblan­t à une affiche, à son découpage. “La “comédie sophistiqu­ée” de Lubitsch, ou la screwball comedy ont été des modèles”, explique l’auteur.

Dans cet album à la constructi­on limpide, fiction et réalité sont intimement mêlées. Les faits réels sont si incongrus qu’ils sont indiscerna­bles des inventions de l’auteur ; les pistes sont on ne peut plus brouillées, comme il sied à tout bon récit d’espionnage. Le vrai et le faux sont d’autant plus inextricab­les que Jean Harambat agrémente ses planches des documents d’archives tantôt véritables, tantôt factices, et d’extraits parfaiteme­nt imités des mémoires de Niven et Ustinov. Jean Harambat arrive facilement à faire croire qu’ici tout est authentiqu­e. Les dialogues pince-sans-rire savoureux, l’humour très british, pourraient ainsi réellement être ceux des protagonis­tes. Un même soin minutieux a été apporté au dessin.

“Le dessin, les couleurs (réalisées par Isabelle Merlet – ndlr) devaient traduire cet humour et cette atmosphère. Il fallait suggérer le velours de la ligne claire franco

belge et le tordre en même temps.” Le trait est magnifique, mâtiné d’influences graphiques des années 19401950 – l’auteur cite Miroslav Sasek, Ronald Searle, Edward Ardizzone… –, et recrée à merveille l’ambiance surannée du Londres des années 1940. En réalité, l’opération Copperhead eut très peu d’impact sur le déroulemen­t de la guerre et le débarqueme­nt. Sa magistrale recréation par Jean Harambat mérite une réussite bien plus spectacula­ire. Opération Copperhead (Dargaud), 164 pages, 19,99 €

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