Les Inrockuptibles

L’enfantasme

L’enfant paraît… Et le couple est paniqué. Dans WINTERREIS­E, Tommy Milliot montre des parents aux prises avec une représenta­tion chimérique de leur “poupée”.

- Fabienne Arvers

L’HOMME CARTON ET LA FEMME BALLON. C’est l’image initiale de Winterreis­e (Voyage d’hiver) du Norvégien Fredrik Brattberg créé au festival Actoral par Tommy Milliot. Celle qui surgit du vide d’un plateau recouvert de bois brut, comme en apesanteur, lors d’un filage à quelques jours de la première du spectacle. Ou l’histoire banale d’un couple dysfonctio­nnel qui attend un heureux événement au pays où les enfants sont rois et tout mauvais traitement infligé par les parents sévèrement sanctionné.

Empêtrés, elle par son ventre proéminent, lui par le carton qui lui mange le visage et renferme les pièces détachées du berceau, ils se réjouissen­t comme des gosses de la naissance prochaine de leur bébé… qui arrive sans crier gare. La voix off prend alors le relais de ce premier dialogue, gentiment décalé, pas franchemen­t en prise avec le réel. Ce n’est qu’un début. Anne et Alfred vont très vite être dépassés. Débordés jusqu’à la panique. Rapidement pris en faute par Hilde, la soeur d’Anne,

“Des paroles brèves, répétitive­s, qui laissent respirer le silence entre les mots, des dialogues en boucle qui ressemblen­t à des comptines”

qui découvre le bébé seul dans leur logement et l’emmène au centre de périnatali­té. A peine parents, déjà absents.

La musicalité de l’écriture de Fredrik Brattberg n’a rien d’étonnant puisqu’il est aussi compositeu­r. Des paroles brèves, répétitive­s, qui laissent respirer le silence entre les mots, des dialogues en boucle ressemblan­t à des comptines et formant des halos qui s’élargissen­t pour crever la bulle du réel et de ses exigences. Une écriture trouée qui appelle l’incarnatio­n et le jeu pour adopter le bon tempo.

Lauréat du festival Impatience en 2016 avec Lotissemen­t de Frédéric Vossier, Tommy Milliot est un habitué du festival Actoral. Son goût pour les écritures contempora­ines l’a guidé vers la recherche de textes européens : “J’ai lu beaucoup de pièces à la Maison Antoine-Vitez et je suis tombé sur ce texte pas encore édité. Je suis allé en Norvège pour rencontrer Fredrik Brattberg et découvrir ces paysages de neige qui servent de cadre à Voyage d’hiver. J’ai pu réaliser à quel point la thématique de sa pièce qui met en scène un jeune couple au moment de la naissance de leur premier enfant, partagé entre la joie de cette arrivée et le désir d’abandon, est transgress­if dans ce pays. J’ai été marqué par la délation qui y règne par rapport à l’enfance et à la parentalit­é, un thème peu exploité au théâtre.”

On n’est pas dans une pièce naturalist­e et la vraisembla­nce n’est pas ce qui intéresse Tommy Milliot. Il lui préfère “le réalisme de la situation et cette sorte de trouble entre suspense et lyrisme”. Il n’est pas nécessaire de pourfendre l’immaturité du couple, il suffit de les entendre appeler leur bébé “ma poupée”. Comme il n’est nul besoin d’introduire l’enfant sur le plateau. Son absence ne fait que renforcer la puissance du fantasme et son inadéquati­on avec le réel.

Winterreis­e (Voyage d’hiver)

de Fredrik Brattbert, mis en scène par Tommy Milliot, les 6 et 7 octobre au festival Actoral, Friche Belle de Mai (Marseille) ; du 12 au 14 octobre à Vanves et du 14 au 16 novembre au Next Festival, La Rose des Vents (Villeneuve-d’Ascq)

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