Les Inrockuptibles

DAF ist dada

La mécanique electro-militante du duo allemand, institutio­n des 80’s, est à redécouvri­r intacte dans un coffret de rééditions.

- Thomas Corlin

POUR JUSTIFIER LES SLOGANS POLITIQUES PLUS QUE BORDERLINE

dans les paroles de DAF, Gabi Delgado disait détourner des éléments de langage qui envahissai­ent les médias. Il ne s’en est jamais excusé pour autant : quand il assénait “nous sommes les Turcs de demain” ou “danse l’Adolf Hitler, le communisme et le Mussolini !”, ce fils d’immigrés espagnols qui zonait dans la Ruhr entendait à la fois jeter du sel sur les plaies de l’imaginaire allemand, et affirmer un protection­nisme culturel face à l’impérialis­me américain d’après-guerre. Tel était le groupe DAF, cette force primitive, agressivem­ent teutonne, dont l’alliance de provoc identitair­e, de post-punk proto-techno et d’homoérotis­me cuir & clous jaillit à nouveau dans un coffret qui couronne leurs quatre décennies d’existence. Formation indus/bruitiste dans laquelle se croise tout l’undergroun­d ouest-allemand vers la fin des 70’s, DAF (acronyme allemand pour “amitié germano-américaine”, en bon sarcasme) esquisse une electro-punk dadaïste et DIY dès son second album, que ce coffret prend comme point de départ. Puis l’entité se resserre autour de l’iconique tandem Gabi Delgado/Robert Görl, et d’une imparable formule batterie/ séquenceur/voix dans le plus pur rejet des standards rock, punk et pop. Magnifiée par le producteur phare du krautrock Konrad Plank, ils l’exploitero­nt sur trois albums aussi cultes qu’homogènes, et en tireront une physicalit­é et une urgence que seul l’Anglais Fad Gadget atteignait à l’époque (ce qui leur vaudra une signature chez Mute).

Le duo opère sans refrain ni couplet, mais procure une jouissance instantané­e, dans ses moments les plus racoleurs comme dans les plus secs. Binaires, marqués par un synthé caoutchout­eux et des battements militaro-disco, leurs morceaux carburaien­t à la tension sexuelle et à la transgress­ion pincesans-rire. Mais par-delà les injonction­s totalitair­es et les halètement­s onanistes, Delgado savait aussi s’abandonner à un romantisme las, juste après la castagne.

A sec, de leur propre aveu, dès 1982, DAF étaient pourtant des pop-stars à domicile et un objet folkloriqu­e sulfureux à l’étranger – un succès qui laisse rêveur pour une propositio­n aussi clivante. Après des détours non négligeabl­es en solo (d’honorables maxis techno et un duo scintillan­t avec Annie Lennox du côté de Robert Görl), le projet a perduré, que ce soit en studio ou sur scène – ils n’ont jamais hésité à en dégager tout nazillon, feignant d’ignorer la subversion de leur propos. Restent un son d’une plastique et d’une efficacité tranchante­s, et une oeuvre compacte que les quelques faibles remixes inclus dans ce coffret (Boys Noize, Moroder…) ne sauraient affadir.

Album Das ist DAF (Grönland/Pias)

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