Space monkey
Dans Premiers pas, VICTOR LEJEUNE raconte l’histoire d’un chimpanzé astronaute. Un trait sec et expressif, un album remarquable.
LES EXCELLENTES ÉDITIONS
ATRABILE, qui hébergent, entre autres, Baladi et Michael DeForge, font toujours preuve d’audace et de goût quand il s’agit de dénicher des talents. La publication de Premiers pas, de Victor Lejeune, est une nouvelle preuve de leur exigence.
Premier véritable album de cet auteur, illustrateur et graveur rémois, l’ouvrage est muet et en noir et blanc. Il s’ouvre sur des pages intrigantes, des images bucoliques, montrant un jeune chimpanzé faire l’apprentissage de la vie avec les siens dans la forêt. Un bonheur trop beau pour durer, et Victor Lejeune enchaîne sur des planches dures, où l’animal est capturé, vendu et finalement expédié dans un zoo. Ce petit singe désemparé voit son salut venir de la Nasa, qui l’achète pour en faire un astrochimp ou chimpanzé astronaute. Etonnante, cette aventure est pourtant vraie. C’est celle de Ham, singe né au Cameroun au milieu des années 1950, cobaye du programme spatial américain qui effectua un vol suborbital de seize minutes en janvier 1961, quelques mois avant le voyage dans l’espace de Youri Gagarine. Victor Lejeune trouve ici l’histoire parfaite pour prolonger son intérêt pour la nature, les animaux et l’espace dont se nourrissaient ses travaux précédents. Son trait sec confère une beauté crue aux forêts comme aux machines de la Nasa. On découvre toute la tristesse, la fragilité, la solitude de l’animal, son impuissance dans les mains des humains, dans des planches expressives et au travers d’inventions graphiques sobres.
Ham est ainsi toujours mis en avant par rapport au décor, tandis qu’un jeu sur les barres verticales évoque l’emprisonnement. Le procédé qu’utilise Victor Lejeune, la gravure sur Celluloïd, donne au dessin une profondeur et un réalisme saisissants. De très belles pages sans décor, découpées en gaufrier, ponctuent l’album. Elles décomposent à la manière d’Etienne-Jules Marey, les mouvements de l’animal lors de moments clés de sa vie – Ham entravé par les chaînes ou encore respirant sous oxygène à l’entraînement –, faisant de ces instants un ballet tragique.
Mais le récit, émouvant, n’est jamais larmoyant. Ici ou là, l’humour pointe (le chimpanzé dans un bureau au milieu d’effigies des grandes figures de l’astrophysique !). Séquencé en chapitres intitulés d’après les grandes étapes de l’histoire (préhistoire, Antiquité, Moyen Age…), le destin de Ham symbolise aussi en filigrane l’évolution de l’humanité, des temps primitifs à la modernité. Les Premiers pas réussis d’un auteur à suivre à la trace.