Les Inrockuptibles

#takeaknee

- Francis Dordor

Protester aux Etats-Unis quand on est noir n’a jamais été simple. Ainsi, il a suffi que quelques joueurs de foot s’agenouille­nt pendant l’hymne national pour déclencher l’ire présidenti­elle. Dans un de ces tweets incendiair­es dont il a le secret, Donald Trump a encouragé les propriétai­res de clubs à virer tous les “fils de pute” adoptant pareille attitude “anti-américaine”. Du coup, la génuflexio­n contestatr­ice est devenue virale et s’est répandue en dehors des stades. On l’a vu avec Stevie Wonder qui s’est agenouillé sur la scène du Global Citizen Festival à New York (il a même posé les deux genoux au sol, “un pour

l’Amérique, un autre pour notre planète”). Mais comme il semblerait que nous vivions une nouvelle guerre de Sécession par tweets interposés, un ex-membre républicai­n du Congrès, Joe Walsh (pas l’ancien guitariste des Eagles) s’est enflammé, qualifiant Wonder de “Noir multimilli­onnaire plein d’ingratitud­e”. L’ingratitud­e a toujours été l’argument de ceux qui dénient aux Noirs, quelle que soit leur position sociale, le droit de protester contre le racisme, que celui-ci émane de la police, ou des institutio­ns comme jadis. Du genre, soyez déjà bien contents d’être américains même si vous vivez dans des taudis avec des bons d’alimentati­on. Alors voilà, d’un côté on a Joe Walsh dont on peut mesurer le sens civique quand il disait, avant les élections, qu’il prendrait “les armes si Trump n’était pas élu” (sic). De l’autre, on a Stevie Wonder dont la musique constitue l’un des plus puissants antidotes contre cette violence qu’on appelle le racisme, dont les disques ont toujours cherché à ranimer cette part d’humanité engourdie en chacun de nous, dont le chant a transformé la colère et le ressentime­nt de millions d’individus en espérance. Stevie Wonder qui a donné de l’Amérique une vision plus généreuse et altruiste qu’elle ne semble disposée à l’accepter elle-même. Qui est l’ingrat ?

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