MAD in USA
Réédition de C’est la jungle d’HARVEY KURTZMAN, l’iconoclaste et génial fondateur de MAD auquel Crumb, Goscinny ou Gotlib doivent tout, ou presque.
CITÉ COMME UNE INFLUENCE MAJEURE PAR DE NOMBREUX
AUTEURS, de Crumb à Art Spiegelman ou Goscinny dont il était l’ami, Harvey Kurtzman a laissé une oeuvre morcelée et difficilement trouvable. D’où l’intérêt de voir aujourd’hui réédité C’est la jungle !, pierre angulaire de sa carrière en dents de scie.
Après de nombreux jobs en studio et en freelance, Kurtzman entre en 1950 chez EC Comics où il écrit et édite des récits de guerre, Two-Fisted Tales et
Frontline Combat. En 1952, il crée MAD et change pour toujours l’univers de la bande dessinée. Iconoclaste, le magazine (d’abord publié sous forme d’album) se moque de l’Amérique, de sa politique et de sa pop culture. Il tranche dans le paysage d’alors par son humour, son autodérision, son ton acide, ses bandes dessinées satiriques. En 1956, Kurtzman quitte MAD car on lui refuse le contrôle du titre. Malgré les promesses que le succès de MAD laissait présager, ses tentatives pour lancer d’autres titres humoristiques avortent rapidement. Il est alors contacté par l’éditeur Ballantine qui lui offre de publier un album en format de poche pour lequel Kurtzman propose des récits inédits. Ce sera C’est la jungle !, publié en 1959. Précurseur du roman graphique ( Un pacte
avec Dieu de Will Eisner ne paraîtra qu’en 1978), cette publication contraste avec celles de l’époque, les quatre histoires le composant étant d’abord destinées à un public adulte. Tout le génie de Kurtzman, déjà à l’oeuvre dans MAD, transparaît ici de façon concentrée. Son trait réaliste, vif et parfois proche de la caricature, est particulièrement inventif.
De nombreux auteurs, comme Gotlib, sauront s’en rappeler, tout comme ils seront inspirés par son humour tranchant, sa finesse – un humour qui influencera des artistes bien au-delà de la BD, de Terry Gilliam aux troupes du Saturday Night
Live. Kurtzman s’attaque ici à la culture dominante avec Thelonious Violence, une parodie sans pitié de la série TV Peter Gunn, et Frénésie sur la prairie, western au héros en manque d’une bonne psychanalyse.
Il se fait aussi plus social, pourfendant le capitalisme dans la presse et l’incompétence qui règne dans le monde de l’entreprise (l’hilarant Cadre supérieur au complet de flanelle grise). Sa dernière cible enfin est la bêtise crasse, dans Décadence dégénérée, sale histoire de moeurs et de vengeance dans le Sud profond. Cet album novateur n’eut qu’un succès mitigé à sa sortie. Il n’en reste pas moins fondateur et toujours remarquablement pertinent.
C’est la jungle ! (Nouvelles Editions Wombat) traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Frédéric Brument, 176 pages, 25 €