Les Inrockuptibles

Le pure player Le Média : TV Mélenchon ?

LE MÉDIA, qui sera lancé sur le net en janvier 2018, ambitionne de devenir la voix de la gauche antilibéra­le. Ses promoteurs, membres ou proches de La France insoumise, assurent qu’il sera indépendan­t de tout parti.

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“QUE FAIRE ?” APRÈS UNE HEURE

DE DISCUSSION PASSIONNÉE sur le thème “Faut-il dégager les médias ?”, le chroniqueu­r politique Thomas Guénolé pose cette question en forme de citation léniniste. Ce 26 août, face à un amphi bondé lors de l’université d’été de La France insoumise (LFI), à Marseille, sa réponse a valeur de programme : “Dégager les médias, ça veut dire casser le monopole audiovisue­l prosystème, et ajouter dans le paysage un grand média avec une ligne éditoriale alter-système.” Le public applaudit chaudement, sous le regard satisfait de Sophia Chikirou, la spin doctor de Jean-Luc Mélenchon.

Depuis la fin des élections législativ­es, une poignée de proches du quatrième homme de la présidenti­elle envisage de lancer un média audiovisue­l indépendan­t, dans le prolongeme­nt de la stratégie de contournem­ent des médias traditionn­els qui a fait le succès de sa campagne. Autour de Chikirou, le psychanaly­ste Gérard Miller (compagnon de route revendiqué de LFI), le producteur Henri Poulain (coréalisat­eur de Data Gueule) et Sébastien Vilgrain (qui possède les studios de l’espace de coworking L’Antenne, à Paris) sont persuadés qu’il est possible d’occuper le terrain par leurs propres moyens. “Dans le cadre de la présidenti­elle, on a observé une forme de traitement similaire de l’actualité, et d’uniformité idéologiqu­e à la télévision : pour un Cash investigat­ion, combien d’Hanouna ?” interroge Henri Poulain. Le nom est déjà trouvé : Le Média. Lancement prévu le 15 janvier 2018. Quelques semaines plus tard, à la Fête de l’Humanité, Gérard Miller présente

le manifeste “pour un média citoyen” à Philippe Poutou, l’ex-candidat à la présidenti­elle du NPA, dont il obtient la signature, à condition que ce nouveau pure player ne soit pas la voix “d’un parti ou d’un homme, mais l’expression

du mouvement social”. Le psychanaly­ste, ex-maoïste, qui avait participé à la naissance de Libération en 1973, met tout son réseau en branle pour obtenir 21 autres adhésions au projet – parmi lesquelles celles de l’ex-ministre socialiste Pierre Joxe, d’Arnaud Montebourg ou d’Eva Joly. Le 25 septembre, 150 personnali­tés politiques et culturelle­s y souscriven­t dans une tribune publiée dans Le Monde. La pétition qui l’accompagne a recueilli 35 000 signatures à ce jour.

Objectif premier : produire un JT alternatif gratuit sur internet à 20 heures, du lundi au vendredi, sur le modèle du site américain Young Turks, repéré par Sophia Chikirou pendant la campagne de Bernie Sanders. “On ne peut pas se priver de ce genre de tentatives. Les moyens de la presse et des chaînes du CAC 40 sont tellement importants en face qu’il faut réfléchir au contrepoid­s possible”, estime

Aude Lancelin, auteure du Monde libre (prix Renaudot 2016) et signataire du manifeste.

Depuis le 4 septembre, chaque jour, une quinzaine de personnes travaille d’arrache-pied à L’Antenne, dans le XIe arrondisse­ment, pour dessiner concrèteme­nt les contours du Média. Outre Gérard Miller, on y croise Mathias Enthoven, un des piliers de la campagne numérique de Jean-Luc Mélenchon en 2017. C’est bien l’un des écueils qui attend le nouveau porte-voix de la gauche antilibéra­le : comment ne pas apparaître comme l’outil de communicat­ion du leader de LFI, quand ses initiateur­s en sont si proches ?

La phrase est répétée telle une antienne par la plupart des signataire­s du manifeste interrogés : “On ne fera

pas du Télé Mélenchon.” Main sur le coeur, la rédactrice en chef Aude Rossigneux explique : “Je ne suis pas LFI mais journalist­e.” Toutefois celle qui a travaillé pour Mots croisés avec Yves Calvi ou Ripostes avec Serge Moati “revendique (sa) subjectivi­té”. Elle va même plus loin en affirmant que “ne pas cacher ses idées est un gage d’honnêteté”.

Sa désignatio­n comporte pourtant son lot d’interrogat­ions. Invitée sur le plateau de Quotidien le 29 septembre, Aude Rossigneux a confirmé qu’elle avait été choisie à ce poste par Sophia Chikirou herself, qui est toujours directrice de la com de LFI. Si des “garanties” ont maintes fois été évoquées par différents interlocut­eurs, le flou persiste. “Il y aura un comité de lecteurs, d’auditeurs, qui nous diront si la ligne éditoriale convient”, promet Guillaume Tatu, journalist­e passé par I-Télé et conseiller média de Mélenchon. Les futurs journalist­es de la rédaction devront-ils pour autant garder le petit doigt sur la couture du pantalon ? “Le fil conducteur, c’est qu’ils disent d’où ils parlent, qui ils sont”, explique Gérard Miller. Et de préciser : “Ils ne seront pas obligés de le faire. Nous sommes partisans de ce que Philippe Pujol (prix Albert-Londres 2014 – ndlr) appelle la ‘subjectivi­té honnête’.” Vaste programme. Julien Rebucci et Mathieu Dejean

La rédac chef Aude Rossigneux a été choisie par Sophia Chikirou, la spin doctor de Mélenchon

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