Les Inrockuptibles

Simon Hanselmann

A coups d’humour extrême et de moments de gêne très… gênants, SIMON HANSELMANN exorcise son passé avec ses héros : la sorcière Megg, le chat Mogg et le hibou Owl. Autobiogra­phies animalière­s délirantes, ses BD imposent l’Australien comme un explorateu­r un

- TEXTE Vincent Brunner

Des animaux trash en BD pour exorciser un passé tordu

“QUAND TU AS BOSSÉ TOUTE LA JOURNÉE/ENTOURÉ D’UNE BANDE D’ENCULÉS/ Une fois rentré à la maison/ Tu dois lâcher la pression/Alors tu niques

ton sac à maiiiiin.” Cette chanson vantant une manière inédite de canaliser sa frustratio­n pourrait devenir un tube viral. Mais elle n’existe que sur papier, dans la nouvelle BD de Simon Hanselmann, un auteur qui a trouvé comment gérer son passé tordu : le raconter sous forme d’une sitcom graphique et transgress­ive. Sauf quand ils vont à la piscine ou au restaurant, la sorcière Megg, le chat Mogg et le hibou Owl – le souffredou­leur des précédents – quittent en effet rarement leur appartemen­t. Assis sur leur canapé, rejoints par le loup-garou Werewolf Jones qui tape l’incruste, ils se droguent devant la télé et attendent que le temps passe. Ça dure déjà depuis quatre albums et, miracle, il est impossible de décrocher de ces récits scabreux qui, selon l’inspiratio­n, impliquent autofellat­ion, voyeurisme ou priapisme mais aussi dégoût de soi, peur du futur et abandon dans la musique (le duo formé par Megg et Werewolf Jones que l’on voit répéter le bientôt culte Nique ton sac à main). Comme il résume lui-même Megg,

Mogg & Owl en une “farce à la Jackass”, le dessinateu­r australien vivant désormais à Seattle était un peu surpris d’être accueilli en héros au festival Formula Bula, à Paris, début octobre, encore plus de voir ses planches exposées sur les murs de la galerie Martel, habitués à accueillir des auteurs plus confirmés (Charles Burns, Daniel Clowes ou Lorenzo Mattotti). Cette reconnaiss­ance constitue pourtant une juste récompense pour quelqu’un qui, depuis son tout jeune âge, se donne à la BD. “J’ai commencé par m’auto-éditer à l’âge de 7 ans. J’ai même été viré du lycée parce que je vendais mes comics aux autres

élèves.” Pas forcément l’épisode le plus douloureux d’une enfance compliquée sur l’île de Tasmanie, au sein d’une famille dysfonctio­nnelle. Eduqué par une mère héroïnoman­e et une grand-mère schizophrè­ne, Simon a pas mal erré et… consommé. “J’ai toujours fumé de l’herbe, pris de l’acide, des champignon­s, tout… à part me mettre une aiguille dans le bras.” S’il a suivi une thérapie pendant des années, c’est avec Megg, Mogg & Owl qu’il a trouvé comment dépasser les traumas

du passé. “Quasiment tout ce que je raconte est autobiogra­phique ou librement basé sur ce que j’ai vécu. Megg, c’est ma facette féminine et déprimée, Mogg mon côté pervers. Owl est ma part coincée, celle qui veut devenir un membre actif de la société. Quant au loup-garou, il incarne mes accès de rage, mon côté autodestru­cteur. C’est pour ça qu’écrire les histoires de ces personnage­s se révèle facile : ils représente­nt les parts de moi qui se battent à l’intérieur de mon cerveau. Cela m’aide vraiment à coucher les choses sur papier, à mettre de la distance avec les événements.” il a Pour choisi organiseru­ne mise cet en exutoirepa­ge souvent trash, ultraclass­ique, qu’il habille de son trait quasi enfantin. “Je veux que mes planches se lisent de manière fluide, que leur rythme approche de celui de la vraie vie.” Depuis la publicatio­n de sa série, il assume aussi en public et avec naturel son goût pour le travestiss­ement et, accompagné par sa femme Jacq, apparaît en festival ou dans les vernissage­s maquillé, en robe et hauts talons. “Parfois, des fans sont déçus quand je suis habillé en homme. Mais les femmes ne portent pas tout le temps une robe, elles s’habillent aussi casual.”

Alors qu’il a dessiné plus de sept cents pages, il estime avoir à peine effleuré le sujet de Megg, Mogg & Owl. “Mes personnage­s prennent de la drogue par faiblesse.Vivre en société est difficile alors ils préfèrent rester dans leur bulle, à l’écart du monde réel. Mais ils ont besoin de changer, d’essayer d’être plus matures.” Citant comme modèle Requiem for a Dream, le film plombant de Darren Aronofsky d’après Selby, il prévient : “Je vais rendre la série plus dramatique.” Et, pour cela, il piochera dans d’autres souvenirs pénibles. “Des moments horribles mais un matériel génial pour la fiction ! Concernant la suite, je suis un peu inquiet parce que je vais beaucoup m’inspirer de ma mère et je ne veux pas la blesser. Elle refuse d’admettre les choses merdiques qu’elle m’a faites, m’utiliser pour de l’argent, me faire culpabilis­er… Mais j’ai besoin d’aller plus loin, alors ‘fuck it !’”

“Parfois, des fans sont déçus quand je suis habillé en homme. Mais les femmes ne portent pas tout le temps une robe” SIMON HANSELMANN

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