Les Inrockuptibles

THE SQUARE Et si la Palme d’or n’était qu’une bonne comédie ?

La Palme d’or discutée du dernier Festival de Cannes exerce sa verve satirique sur des objets un peu convenus, mais avec un certain brio.

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LES PALMES D’OR SONT-ELLES LE PRODUIT DE LEUR ÉPOQUE ? Sans doute pas. La liste des derniers lauréats révèle plus volontiers un radar rouillé pointant des directions aléatoires – “radical chic”, “chef-d’oeuvre fragile”, “coup de poing”, etc. Et puis cette délibérati­on plus ou moins démocratiq­ue, obscurémen­t présidée : non, le lauréat peut difficilem­ent passer pour autre chose que pour le chouchou hasardeux d’un jury de stars, soit le produit de pas grand-chose (pas de son époque, peut-être de sa cinéphilie ou de sa bourgeoisi­e…). Donc, autant le prendre pour ce qu’il est : un film.

Voilà qui aurait pu rassurer, en mai dernier, les nombreux déçus par l’attributio­n de cette récompense à un film qui, en retour, semblait presque déjà la dévaluer. Car The Square n’est une Palme ni moralement révoltante (genre Dheepan), ni vraiment molle du bulbe (genre Moi, Daniel Blake), mais a tout de même incarné pour beaucoup quelque chose de l’ordre de la sous-Palme, du champion discount : un film plutôt drôle, vaguement malin, satire du milieu de l’art contempora­in – déjà surlabouré par les railleries –, aimé à la va-vite et bientôt oublié.

The Square est-il vraiment ce bras armé de la vulgarisat­ion du goût ? Le gros lourd invité par mégarde à la soirée et qui monopolise toute l’attention ? Ou bien le sulfureux trouble-fête, tel le performeur interprété dans le film par Terry Notary dont le happening “imitation gorille”, destiné à choquer gentiment le bourgeois, vire au scandale trash et à la libération incontrôlé­e des pulsions ?

Rien de si dangereux en fait : la comédie opère avec un tempéramen­t plus calme et intelligen­t que celui qu’on a trop vite voulu lui prêter. Ainsi Christian (interprété avec un sens consommé du less is more par le Danois Claes Bang), conservate­ur de musée en chute libre relationne­lle et statutaire, se révèle-t-il en personnage plus retors que prévu : un petit baron de l’élite cultivée qui est à la fois pour le film un punching-ball et une sorte de Droopy apathique, volontiers attachant, laissant souvent entrevoir sa part d’enfance, pas tellement gangréné par la superficia­lité de son environnem­ent et plutôt présenté comme une sorte de témoin découragé, de complice las.

On pourra même trouver que la démolition des vanités bourgeoise­s programmée par Ostlund puise dans une certaine inspiratio­n de mise en scène.

The Square est travaillé par une esthétique de l’espace personnel, de l’intrusion, abordée par des sketchs composant autour de la microagres­sion et par le son : nombre de scènes étonnammen­t recouverte­s de bruits de travaux, de nuisances parasitair­es, comme si le cocon de luxe, de bon goût et de silence devait être attaqué certes par coups, par attentats, mais aussi perpétuell­ement, comme une démangeais­on.

Bref, c’est bien l’hystérie de la récompense qui a trompé les radars. Derrière la polémique sur le palmarès, se cache un objet qui méritait moins de surexposit­ion et sans doute une réévaluati­on au calme : allez donc voir The Square, mais n’allez pas voir la Palme. Théo Ribeton

The Square de Ruben Ostlund, avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West, Terry Notary (Suè., All., Dan., Fr., 2017, 2 h 25)

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Le performeur Terry Notary dans la scène climax du film

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