Les Inrockuptibles

THE SMITHS La réédition en version Deluxe de The Queen Is Dead

En 1986, THE SMITHS sortent The Queen Is Dead, leur chef-d’oeuvre, témoin de l’urgence et des tensions qui traversent le groupe. L’album est réédité en version Deluxe.

-

MORRISSEY TIRANT LA LANGUE,

GOGUENARD. A l’arrière d’un tour-bus, à la vitre, saluant quelques fans qui le coursaient dans les rues de Middlesbro­ugh. Ça sera la dernière fois que je verrais les Smiths sur scène, en ce 14 octobre 1986. Le groupe sait aussi que la fin est proche : il ne jouera plus ensuite qu’une dizaine de concerts. Et il donne tout, avec une flamboyanc­e et une énergie sidérantes. En concert, les Smiths sont alors le plus magnifique et foudroyant groupe de rock anglais. Ils jouent dur, dru, électrique les chansons de leur album

The Queen Is Dead, sorti au milieu du mois de juin de la même année.

La bonne idée de la réédition Deluxe de l’album est justement d’avoir intégré un live de cette époque, enregistré à Boston le 5 août. Un témoignage de la fuite en avant à laquelle le groupe se livre alors, déformant et sublimant des chansons pourtant encore neuves, en rodage. Entre Morrissey et Marr, c’est la lutte larvée – et on sait, des Kinks aux Stones, d’Oasis aux Strokes, à quel point ces bastons d’ego, ces coups d’Etat permanents entre songwriter­s font la grandeur du rock. Egoïstemen­t, on se moque bien de l’inconfort, de la tension et du malheur qui régissent cette ultime tournée, avant que l’enregistre­ment de Strangeway­s Here We Come ne vienne

entériner et précipiter la séparation brutale du groupe, largement en avance sur la fin de l’histoire.

De ces frictions, le groupe a tiré une urgence, une violence, une fulgurance qui demeurent aussi fascinante­s plus de trente ans plus tard. Comment n’a-t-on pas pu sentir à quel point des chansons comme I Know It’s Over ou la tumultueus­e

The Queen Is Dead portaient en elles le virus de la mort, de la fin. Johnny Marr est malade, le bassiste Andy Rourke junkie, Morrissey dépressif… Le groupe avait pourtant trouvé

en Stephen Street un producteur du même âge, partageant culture et vision. Il a d’ailleurs toujours fait état d’un chantier studieux mais serein. Johnny Marr parlera lui de la fluidité et de la simplicité des sessions. Et effectivem­ent, malgré tout, il compose quelques moments inouïs de l’histoire de la musique anglaise, tressant comme jamais spleen et exaltation, caressant ou brutalisan­t les arpèges.

Telle liberté, telle profusion condamnent Morrissey au surpasseme­nt : tour à tour bouleversa­nt, cassant, truculent, étincelant, toujours aux frontières de la pitrerie et de la mélancolie, il signe quelques-uns de ses textes les plus denses, de The Boy with the Thorn

in His Side à I Know It’s Over. A l’époque, sa grande gueule ( Bigmouth Strikes

Again, comme le chantait le single) était salutaire : elle était une voix unique pour les laissés-pour-compte, les oubliés malmenés du thatchéris­me, les parias en mal de place. Qui aurait pu alors imaginer que cette même grande gueule, trente ans plus tard, apporterai­t son soutien à la branche la plus dure du Ukip, pour les mêmes raisons ? JD Beauvallet

Morrissey était la voix des laissés-pour-compte du thatchéris­me, aujourd’hui il soutient la branche la plus dure du Ukip

 ??  ??
 ??  ?? The Queen Is Dead Deluxe Edition (Rough Trade/Warner)
The Queen Is Dead Deluxe Edition (Rough Trade/Warner)

Newspapers in French

Newspapers from France